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Éducation-Législation

Publié le 31 mar 2015Lecture 10 min

ETP : où en sommes-nous sur le terrain près de 4 ans après la loi ? L’exemple lorrain

P. BÖHME, CHU de Nancy

La prise en charge par le système de soins des maladies chroniques reste une priorité de santé publique comme l’ont indiqué les experts du plan « Maladies chroniques » en 2012(1). En effet, cette prise en charge reste difficile malgré les progrès considérables des procédures de soins et des thérapeutiques pourtant innovantes(2). Parmi les déterminants du mauvais pronostic de ces pathologies, on retrouve souvent des facteurs de résistance bien identifiés comme le défaut d’adhérence au traitement, les difficultés de changement des comportements de vie (alimentation, activité physique, sommeil, etc.). La précarité est aussi l’un des facteurs majorant ces différents types de difficultés, de même que les inégalités d’accès aux soins. Ces facteurs de résistance émanent de la personne ellemême mais aussi de l’organisation des soins qui à ce jour ne paraît pas encore suffisamment adaptée.

L’éducation thérapeutique du patient (ETP) est l’un des éléments majeurs pouvant lever certains freins et pourrait ainsi améliorer cette prise en charge, ce qui est bien démontré pour le diabète ou l’obésité(3,4). L’ETP participe à l’acquisition, par le patient, de connaissances et de compétences l’aidant à faire face à la maladie au quotidien et tout au long de son parcours de soins(5). Or, sur le terrain, le développement des activités d’ETP semble être difficile au regard du nombre de patients présentant une pathologie chronique, à savoir 15 millions d’individus en France(1). Une logique de « programmes » Relativement tôt, en 1998, l’OMS rédigeait un document décrivant les compétences que les soignants devaient maîtriser dans le domaine de l’ETP, y compris son organisation, sa mise en oeuvre et son évaluation(6). En juin 2007, la Haute Autorité de santé (HAS) a proposé un guide méthodologique pour la structuration d’un programme d’ETP dans le champ des maladies chroniques(7). Puis, devant ce besoin d’implantation, de développement et d’organisation, la loi HPST a en quelque sorte « légalisé » l’ETP en 2009, en précisant ses principes et ses modalités par décrets(8). Les programmes d’ETP sont ainsi obligatoirement coordonnés par un médecin, par un autre professionnel de santé (PS) ou par un représentant d’une association de patients agréée. Ils doivent être mis en oeuvre par au moins deux PS de professions différentes, et « lorsque le programme n’est pas coordonné par un médecin, l’un de ces deux professionnels de santé est un médecin ». Parmi ces professionnels, un intervenant au moins doit justifier de compétences en ETP ou rapporter une expérience d’au moins 2 ans dans un programme d’éducation thérapeutique. En France, depuis la publication des décrets de la loi HPST et jusqu’en 2012, près de 2 700 programmes d’ETP ont été autorisés, soulignant un vif intérêt de la part de l’ensemble des PS. Éducation thérapeutique dans le domaine du diabète et de l’obésité : une action qui a précédé la reconnaissance législative La pratique de l’ETP est évidemment ancienne pour les spécialistes du diabète et de la nutrition, en Lorraine comme ailleurs en France(9). Plus récemment, et peu de temps avant la promulgation de la loi HPST, un premier recueil d’activités en ETP (enquête EPATEL) avait été réalisé en Lorraine en 2009-2010 auprès des équipes hospitalières et d’autres structures comme les réseaux et les maisons de santé(10). L’ensemble des données avait été analysé au vu des critères de qualité énoncés dans les recommandations françaises de la HAS en 2007(7) ; les intervenants (multidisciplinarité et formation en ETP), la structuration du programme d’ETP en 4 phases (diagnostic éducatif, objectifs éducatifs personnalisés et négociés avec le patient, séances pédagogiques individuelles et/ou collectives, évaluation des compétences acquises par le patient), la formalisation du parcours (objectif, organisation générale, existence d’un dossier du patient et d’une information du médecin traitant, etc.) et les supports d’information (outils pédagogiques). La plupart des équipes lorraines ont été à l’époque : 41 équipes avaient été identifiées comme ayant une activité ETP dans les pathologies concernées, à savoir 20 pour le diabète, 5 pour l’obésité et 16 pour les 2 pathologies (dont 4 spécifiques aux adolescents). Parmi ces programmes, 30 étaient animés par des équipes hospitalières, 5 par des maisons de santé et 6 par des réseaux de santé, soulignant une volonté de développement territorial de l’ETP. Seize équipes remplissaient au moins 6 des 8 critères définis par la HAS et pouvaient être considérées comme des programmes structurés : personnel formé, pluridisciplinaire, programme en 4 étapes. Les programmes avaient, pour plus de la moitié, démarré après l’année 2000. Cependant, sur les 20 territoires locaux de santé en Lorraine, 6 ne bénéficiaient pas encore de programmes hospitaliers, d’où l’intérêt de compléter l’offre d’ETP par d’autres intervenants comme des réseaux ou maisons de santé. Mais le nombre de programmes était déjà jugé relativement important et leur niveau de qualité considéré comme élevé. La loi HPST a depuis permis une accélération du développement de programmes tout en confirmant les équipes déjà expérimentées en ETP en région Lorraine. L’obligation de déposer un cahier des charges a pu répondre à certains manques observés grâce à l’étude EPATEL et qui concernaient la formalisation des programmes, la traçabilité des patients dans le parcours d’ETP et les relations entre l’équipe qui anime l’ETP et le médecin traitant du patient. État des lieux actuel des programmes d’ETP : l’exemple de la Lorraine En Lorraine, le développement de l’ETP est inscrit dans le dernier schéma régional de prévention et comporte 3 objectifs : améliorer l’accès des patients à l’ETP, développer une formation en ETP de qualité et faciliter l’intégration des associations de patients vivant avec une maladie chronique dans l’élaboration et la mise en oeuvre des programmes d’ETP. En 2013, 116 programmes étaient déjà autorisés. Le développement des programmes autorisés a donc été très rapide. Pour autant, le tropisme des établissements de santé reste visiblement très fort comme en atteste la figure 1. D’autres régions paraissent avoir une développement moins « hospitalo-centré » ; tel est le cas en Poitou-Charentes, où un programme sur deux n’est pas coordonné par un établissement hospitalier(11). La coordination des programmes existants en Lorraine est exercée à 80 % par des médecins, 10 % par des pharmaciens, les 10 % restants étant coordonnés par des infirmiers (5 %) ou d’autres PS (diététiciens, masseurs-kinésithérapeutes). Les compétences médicales sont indispensables puisque l’ETP nécessite une maîtrise optimale de la discipline médicale concernée. Mais l’apport des programmes réside aussi dans l’élaboration et/ou la formalisation d’une collaboration interprofessionnelle, même si le partage des tâches reste à optimiser(12). Figure 1. Répartition des 116 programmes selon la typologie de la structure qui porte le programme d’ETP (juillet 2013). Parmi les 116 programmes proposés en Lorraine, 36 concernent le diabète et/ou l’obésité, soit presque un tiers de l’ensemble des programmes (31 %). Si l’on considère les 255 programmes nationaux pour le diabète et l’obésité, la région Lorraine propose 12 % de la totalité de ces programmes, le tout pour un total de 2,99 millions d’euros de financement(13). La répartition territoriale des programmes d’ETP peut être considérée comme peu harmonieuse. En effet, 2 départements (Moselle et Meurthe-et-Moselle) concentrent 72 % des programmes. On en retrouve ainsi 43 en Moselle (dont 18 au CHR), 41 en Meurthe-et-Moselle (dont 21 au CHU), 22 dans les Vosges et 10 en Meuse. Les pathologies concernées par l’ETP paraissent également mal réparties ; par exemple, l’offre est insuffisante en matière de BPCO en Meuse et dans l’Est des Vosges. Cette territorialisation inégale se retrouve dans d’autres régions(11). Enfin, l’offre reste dramatiquement réduite pour les enfants et les adolescents, toutes pathologies confondues (14 % des programmes seulement). L’obésité de l’enfant et de l’adolescent reste ainsi un problème majeur de santé publique en termes de dépistage et de prise en charge. Mais des campagnes d’éducation à la santé sont depuis peu mises en place, pouvant favoriser l’accès à une ETP plus structurée(14). Les données d’activités (nombre de patients et de séances) ont pu être recueillies pour l’année 2012. Ces données correspondent néanmoins à une activité en année pleine et sont peu influencées par d’éventuelles difficultés de mise en place des premiers programmes autorisés fin 2010. En Lorraine, l’année 2012 a permis l’intégration de 11 664 « nouveaux » patients. La file active (nouveau patients et ceux déjà engagés dans un parcours d’ETP) était en 2012 de 17 612 patients (79 % d’entre eux dans un programme hospitalier), dont 10 % de moins de 16 ans et 30 % de 65 ans et plus. Parmi ces patients, 6 001 d’entre eux (soit 51 %) présentaient un diabète et/ou une obésité. Vingt-trois pour cent des patients étaient quant à eux intégrés dans un programme concernant les maladies cardiovasculaires (2 700 patients environ). Les autres patholo gies concernées étaient les mala dies respiratoires chroniques (BPCO/ asthme), les affections rhumatologiques, l’insuffisance rénale chronique, la sclérose en plaques et quelques pathologies moins fréquentes. À ce jour, il n’est pas possible de savoir, parmi les patients bénéficiant d’un parcours d’ETP dans le cadre d’une maladie cardiovasculaire ou d’une insuffisance rénale chronique, si certains patients présentaient ou non un diabète et/ou une obésité associés. La grande majorité des séances sont prodiguées au sein de programmes portés par des établissements de santé, soit un total de 42 123 séances (individuelles et collectives). De plus, 70 % de ces séances étaient réalisées au cours d’une hospitalisation, ce qui témoigne, là aussi, des problèmes posés par l’organisation de l’activité éducative ambulatoire, en « amont » et en « aval » des séjours hospitaliers. Des modèles de conception variés pour l’organisation et les collaborations dans le domaine de l’ETP La pratique de l’ETP est évidemment ancienne pour les spécialistes du diabète et de la nutrition, mais son développement à l’ensemble des maladies chroniques s’est accompagné ces dernières années d’une multiplication de ses modèles d’organisation, en lien étroit avec les modèles d’organisation des soins, d’ailleurs très différents d’un pays à l’autre, mêmes voisins(15). Deux principales conceptions coexistent en France. Les programmes d’ETP structurés selon la méthodologie développée par la HAS et validés par les ARS d’une part, et une gestion intégrée aux soins de premier recours telles l’expérience « ASALEE » (pour Action de Santé Libérale En Équipe) ou celle des maisons de santé pluridisciplinaires. Cette dernière paraît difficile à évaluer à l’heure actuelle, la traçabilité des activités restant difficile à mettre en oeuvre. En ce qui concerne ASALEE, le système d’information connecté entre les acteurs apporte certainement un plus. Il s’agit d’un modèle de coopération associant médecins généralistes et infirmiers pour des soins de premier recours dispensés au cabinet de médecins libéraux. L’objectif d’ASALEE était d’améliorer la qualité des soins par la délégation aux infirmières, avec des « consultations d’éducation thérapeutique » pour le diabète et du dépistage des facteurs de risque cardiovasculaire. Près de 350 médecins, dont 22 en Lorraine, se sont engagés depuis 2003 en France, répartis sur 105 communes de 16 régions, dont la Lorraine. Ce modèle, proche de certains modèles étrangers (maisons médicales des États- Unis, groupes de médecins de famille au Canada), paraît souple avec des séances individuelles et collectives associées et avec une certaine compatibilité des rémunérations à l’acte et au forfait. Il est aussi catalyseur de regroupement (comme dans les Vosges) sur le territoire et semble être recommandé par l’IGAS(16). Il sera probablement nécessaire de s’interroger sur les difficultés de gestion et d’organisation, de l’impact et du coût de l’activité éducative proprement dite dans ce modèle. Il s’agit néanmoins d’une opportunité unique pour mettre en place un parcours d’ETP en proximité en impliquant le médecin traitant libéral. Pourtant, les activités d’ETP sont majoritairement assurées par les seuls établissements hospitaliers. Or, les difficultés de l’hôpital dans ce domaine sont multiples : une tarification mal adaptée et des dotations figées et peu réalistes. De nombreuses communications en congrès font part de ces difficultés en raison d’un déficit d’organisation collective ou de manque de personnel, voire de financements(17). Un autre modèle d’organisation territoriale de l’ETP est porté par le « réseau de soin ». Déjà implantés sur plusieurs régions, les réseaux territoriaux ont permis, bien avant la loi HPST, le développement d’une offre d’ETP de proximité à la fois organisée, diversifiée et souvent externalisée de l’hôpital. Souvent en lien avec les associations de patients, ces structures ont su faciliter l’adhésion de bon nombre de patients et de médecins, même si les tutelles n’ont pas jugé positivement leur action globale puisque concernant à peine 2,5 % des patients diabétiques(16). Il n’en reste pas moins que certaines ARS régionales comme celle de la Lorraine ont maintenu l’ETP dans le cahier des charges des réseaux territoriaux, soulignant l’intérêt de ces organisations pour le développement de l’ETP en ville. Figure 2. Répartition des 116 programmes d’ETP selon le type de pathologie (juillet 2013). Conclusions – Réflexions Après la promulgation de la loi proposant la formalisation légale de l’ETP sous forme de programmes autorisés, son développement territorial ainsi que son accessibilité à tous restent difficiles, alors même que de nombreux programmes furent autorisés. Le tropisme de l’hôpital reste fort et les difficultés d’externalisation de l’ETP pour la médecine de ville restent importantes : la communication est déjà problématique entre réseaux, hôpitaux et médecine de ville et reste à construire avec des outils modernes. Les freins sont multiples ; parmi eux, la communication interprofessionnelle semble effectivement être largement perfectible(12). Il convient, certes, de proposer des modalités éducatives adaptées au plus grand nombre, sinon, comme le signalent plusieurs équipes, les patients ne viennent pas ou peu. Mais afin de construire une ETP « de masse », la priorité semble bien être sa mise en oeuvre progressive adaptée au parcours de soins, coordonnée si plusieurs niveaux de soins sont nécessaires, et permettant à tous les acteurs de se reposer sur des offres existantes et diversifiées. Compte tenu des aspects très variés à prendre en compte pour améliorer le parcours éducatif des patients et au final leur qualité de vie, l’évaluation de l’ETP est nécessaire mais certainement beaucoup plus complexe qu’il ne paraît. Au final, cette ETP questionne encore le système de santé constitué du trio organisation (règles, dispositifs, financement, etc.), professionnels de santé (leur engagement dans de telles démarches) et patients avec leur perception en tant que bénéficiaires. D’ailleurs, les premiers programmes d’ETP autorisés devaient assurer en 2014 une procédure d’évaluation quadriennale afin d’être éventuellement autorisés à poursuivre leur activités d’ETP « formalisée »(18). Bien qu’il s’agisse d’une procédure qui s’apparente plus à une autoévaluation, les données recueillies seront certainement riches d’enseignements quant au futur développement de l’ETP en France.

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