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Cancérologie

Publié le 30 sep 2015Lecture 11 min

Diabète et cancer : cause ou conséquence ?

H. GIN, Université de Bordeaux


Le débat concernant la relation entre diabète et cancer est loin d’être récent puisque le sur-risque de cancer du pancréas est connu chez le patient diabétique depuis les années 1930 et que le risque de cancer est considéré actuellement comme deux fois plus élevé chez le patient diabétique de type 2 que dans la population générale.
La problématique diabète-cancer est bidirectionnelle : l’existence d’un diabète peut favoriser la carcinogenèse ; l’existence d’un cancer peut conduire à une hyperglycémie en l’absence d’antécédent de diabète ou vers le déséquilibre d’un diabète connu.
Enfin, un débat récent s’est installé autour du rôle éventuel des médicaments du diabète. La question diabète-cancer est donc vaste.

Mécanismes physiopathologiques évoqués Les mécanismes spécifiques liés au diabète susceptibles de participer à la carcinogenèse sont mal connus. L’insulinorésistance et son corollaire l’hyperinsulinisme sont les mécanismes les plus fréquemment évoqués. L’insuline est en effet un facteur de croissance et l’insulinorésistance modifie l’expression d’un certain nombre de récepteurs et surtout la signalisation post-récepteur, tous phénomènes pouvant conduire à la dérégulation du contrôle de la prolifération cellulaire. Il importe cependant de tenir compte d’un certain nombre de facteurs confondants. Le patient diabétique de type 2 est généralement en surcharge pondérale ou, au minimum, a un passé de surcharge pondérale. L’obésité seule est déjà associée à un sur-risque de cancer, sans que le diabète intervienne (bien que l’obésité soit souvent associée à un état d’insulinorésistance). Parallèlement, le patient diabétique de type 2 associe à sa surcharge pondérale un certain nombre de pratiques et un mode de vie qui, à eux seuls, sont aussi source d’élévation du risque carcinologique, tels l’alcool et le tabac. Le sur-risque de cancer chez le patient diabétique de type 2 est donc polyfactoriel. Enfin, le rôle de l’hyperglycémie elle-même semble démontré par certaines études qui mettent en évidence une relation quasi linéaire entre niveau d’HbA1c et risque de cancer, mais nous ne disposons pas d’études prospectives. Les mécanismes évoqués sont le rôle propre du glucose en temps que nutriment pour la cellule néoplasique, mais aussi et surtout la majoration du stress oxydant lié aux pics d’hyperglycémie : on connaît l’implication du stress oxydant dans les mécanismes de tumorogenèse. Deux situations cliniques très différentes La situation clinique est complexe : - d’une part, un cancer en train d’exploser peut être la cause d’une hyperglycémie que l’on découvre et que l’on prend alors pour un vrai diabète, au risque de méconnaître le cancer sousjacent, encore non identifié mais qui va se manifester dans les mois à venir ; - d’autre part, le patient diabétique que l’on connaît de longue date, que l’on suit régulièrement et qui développe un cancer à un moment de sa vie diabétique. Il s’agit de deux situations cliniques totalement différentes. Devant la découverte d’une glycémie élevée Devant toute découverte d’une glycémie élevée, la question se pose de déterminer s’il s’agit d’un diabète réel à part entière, devant un tableau clinique évident, ou au contraire d’une hyperglycémie évoluant dans le sillage d’un cancer ; tous les types de cancers sont possibles, le cancer du pancréas un peu plus que les autres. Sur le plan clinique, il n’est pas question de faire une échographie pancréatique ou un scanner corps entier à tous les patients chez qui on vient de découvrir une hyperglycémie. Le bon sens clinique s’impose : d’abord l’âge et le terrain. Certains cancers ne se rencontrent que dans certaines tranches d’âge bien précises ; ainsi, l’hypothèse d’un cancer du pancréas ou du poumon à l’âge de 20 ans n’est absolument pas plausible ; par contre, à 50-60 ans, les possibilités néoplasiques deviennent nombreuses (sein, côlon, poumon, rein, etc.) et leur probabilité est augmentée dès lors qu’il existe un terrain associé (tabac, alcool). Une glycémie élevée de découverte récente chez un adulte de 50 ans ou plus impose d’être vigilant. Le tableau clinique est alors important : la découverte d’un diabète de type 1 se fait le plus souvent chez le sujet jeune dans le cadre d’un amaigrissement rapide avec appétit conservé ; à l’inverse, la découverte d’un diabète de type 2 se fait dans le cadre de la pléthore et de la prise alimentaire conservée, voire excessive. Découvrir un diabète de type 2 chez une personne de 60 ans en surpoids, mais qui se présente à la consultation en évoquant une perte récente de 2 à 3 kg (au moment où l’on découvre son hyperglycémie) n’est pas une situation compatible avec un diagnostic de diabète de type 2 ; c’est plutôt une situation paradoxale dans la mesure où la perte de 2 à 3 kg est plutôt associée à une amélioration du niveau glycémique ; la situation est encore plus paradoxale si un interrogatoire fouillé retrouve une petite perte d’appétit, voire un dégoût alimentaire. On acceptera un diagnostic de diabète devant la découverte d’une hyperglycémie, lorsque le tableau clinique est évident (un sujet jeune en train de maigrir, un sujet d’âge mûr en train de grossir) ; par contre, chez le sujet mature, il faudra, avant de prescrire les antidiabétiques oraux, chaque fois se poser la question de savoir si le tableau clinique est parfaitement compatible. Il ne s’agit pas de multiplier les examens complémentaires, mais de développer la démarche clinique (interrogatoire, examen clinique, etc.). La découverte d’une hyperglycémie « à 50- 60 ans » doit d’abord être considérée comme suspecte. Si le tableau paraît atypique alors il faut se poser la question d’une pathologie sous-jacente. Circonstances cliniques devant conduire à la vigilance chez un patient diabétique connu Il y a bien sûr des circonstances de « monsieur tout le monde », c’est-à-dire celles des patients non diabétiques. Ces circonstances englobent les signes généraux (asthénie, anorexie, amaigrissement) et les signes spécifiques (diarrhée, constipation, toux sèche irritative, sang dans les selles, hématurie) (à ce propos, il faut savoir ne pas confondre une microalbuminurie brutalement aggravée et une hématurie microscopique débutante, symptomatiques d’un cancer du rein ou de la vessie). Ce type de situation est donc simple, celle d’une médecine conventionnelle, encore faut-il prendre le temps d’écouter ce patient que l’on croit bien connaître, car on le revoit régulièrement à chaque renouvellement d’ordonnance. Il faut savoir prendre le temps d’écouter les petits signes fonctionnels nouveaux et d’examiner dans une dimension autre que celle de l’examen de routine d’un patient diabétique. Il faut examiner complètement et de façon régulière, en ne se contentant pas de la tension artérielle, de l’examen des pieds ou des réflexes, mais en palpant régulièrement les aires ganglionnaires, en recherchant une hépatomégalie, une splénomégalie, une tumeur abdominale, en palpant les fosses lombaires, en réalisant une auscultation pulmonaire… Il s’agit en fait d’une médecine tout à fait conventionnelle. Le patient diabétique comme les autres peut être atteint d’une affection néoplasique dont le risque augmente avec l’avancée en âge, en raison de l’existence même du diabète. La situation la plus délicate est celle du patient diabétique qui n’a aucune plainte clinique nouvelle, ni aucun signe à l’examen. Quand penser à rechercher une pathologie néoplasique sous-jacente ? - Chez le patient diabétique de type 1 traité par insuline, l’évolution des besoins insuliniques et surtout la difficulté à équilibrer la glycémie sont de bons marqueurs qui doivent mettre en alerte. En effet, tant que les glycémies sont facilement traitées, avec de petits réajustements quotidiens des doses, il n’y a généralement pas de pathologie sousjacente. Au contraire, lorsqu’un patient qui avait un diabète relativement facile à traiter jusquelà, voit brutalement ce diabète devenir difficile à traiter, avec une explosion des besoins insuliniques qui ne font qu’augmenter (et parfois de façon spectaculaire), sans atteindre l’objectif glycémique, il faut savoir penser à et rechercher, sans perdre de temps, une pathologie sousjacente, parfois infectieuse, parfois endocrinienne, mais le plus souvent néoplasique. La notion de « terrain » incite à redoubler de vigilance, celle de l’ancien fumeur, celle de l’âge qui avance, celle de l’imprégnation exogène évidente ou connue. Les explorations complémentaires s’imposent alors avant de dire au patient qu’il lui suffit d’augmenter les doses d’insuline. - Chez le patient diabétique de type 2 sous antidiabétiques oraux, la situation est différente. On assiste à un déséquilibre du diabète et on se pose la question de l’évolution naturelle de la maladie, avec escalade thérapeutique vers l’insulinothérapie. On a l’impression d’être dans la banalité de l’évolution clinique naturelle du diabète de type 2 où il suffirait de modifier l’ordonnance et d’introduire une nouvelle classe thérapeutique, voire de l’insuline. Le raisonnement clinique, là encore, s’impose, et la vigilance doit être de mise. À chaque fois que l’on se croit dans l’escalade thérapeutique, il faut réécouter son patient, être sûr que de nouveaux symptômes ne sont pas apparus, le réexaminer pour être sûr que l’examen clinique reste normal, mais il faut surtout repenser à cette règle générale de la physiologie : « Chez un patient diabétique de type 2, quand le poids monte, les glycémies montent, mais quand le poids baisse, les glycémies baissent ». La situation paradoxale de la pseudo-escalade thérapeutique est celle d’un diabète de type 2 connu qui est en effet déséquilibré avec des glycémies hautes, mais qui vient de perdre du poids (voire 2 ou 3 kg) récemment ; dans ces conditions, les règles de la physiologie ne sont plus respectées et la recherche d’une pathologie sous-jacente s’impose. D’une manière générale, chez le patient diabétique de type 2, il n’y a jamais de perte de poids sans amélioration des glycémies. Une perte de poids, associée à un diabète en train de s’aggraver, chez un patient de type 2, est soit l’expression d’une carence insulinique, soit celle d’une pathologie sous-jacente. Il faut donc absolument, avant d’alourdir l’ordonnance d’un nouveau médicament antidiabétique, avoir la certitude qu’on ne se trouve pas face à une pathologie intercurrente en train de décompenser la situation métabolique ; parmi ces pathologies intercurrentes, bien sûr la pathologie néoplasique est la première à rechercher, ce d’autant plus que le patient a généralement l’âge de ces pathologies néoplasiques. En effet, un patient diabétique de type 2 chez lequel l’escalade thérapeutique est envisagée est un patient diabétique de type 2 connu depuis déjà un certain nombre d’années. Par ailleurs, si la vigilance néoplasique s’impose avec l’âge, il faut aussi se souvenir que le risque néoplasique est plus élevé chez le patient diabétique de type 2 que chez le non-diabétique de même âge et de même poids. Cette étape du raisonnement est excessivement importante car, initialement, la mise sous insuline peut réinduire l’anabolisme pendant un certain temps et faire reprendre du poids au patient, alors que la pathologie néoplasique continue d’évoluer, et que l’on se sent rassuré par cette reprise pondérale. Cette situation clinique est fréquente et doit absolument être connue. L’objectif, bien sûr, n’est pas de multiplier les examens complémentaires de façon systématique et régulière chez le patient diabétique de type 2, mais uniquement de maintenir une vigilance clinique, surtout face à l’escalade thérapeutique, et de savoir penser que le diabète n’est peutêtre pas la seule pathologie qui affecte le patient. Enfin, en dehors même de l’existence d’un diabète, des antécédents de pancréatite aiguë ou une pancréatite chronique sont à eux seuls des facteurs de risque de cancer du pancréas. La pancréatite chronique peut être connue de longue date mais elle reste souvent méconnue. Rôle des médicaments du diabète Le rôle des médicaments utilisés pour le traitement du diabète a été abondamment débattu ; malheureusement, tout et son contraire a été dit. Un certain nombre de données sont certaines, il s’agit de points acquis. À une extrémité, la metformine est au minimum neutre et n’a montré aucun signal de risque carcinologique. De nombreux travaux récents (mais il s’agit toujours d’analyses rétrospectives) rapportent même un certain effet protecteur vis-à-vis du cancer chez les patients prenant régulièrement de la metformine. À l’autre extrémité, le sur-risque de cancer de la vessie chez certains patients traités par glitazone semble reconnu. Entre les deux, les antidiabétiques oraux traditionnels (sulfamides) ou plus modernes (inhibiteurs des DPP-4) et certaines insulines modernes, ont été incriminés dans certaines études. La réserve s’impose car la polémique est importante ; certaines études sont allées dans le sens de la carcinogenèse, mais beaucoup d’autres n’ont rien pu démontrer.   La réserve s’impose, car une fois le bruit médiatique lancé, l’honnêteté du débat intellectuel n’est plus possible, les patients ne savent plus quoi penser, la confiance n’existe plus ; au-delà d’un risque hypothétique et très incertain, on oublie alors les bénéfices réels et avérés conférés par le médicament. Nous ne disposons actuellement que d’études de registres ou de métaanalyses, et leur limite est grande. Les études prospectives lancées ces dernières années sont toutes rassurantes. Par ailleurs, on a comparé des patients diabétiques de type 2 traités par antidiabétiques oraux et des patients diabétiques de type 2 traités par antidiabétiques oraux plus insuline. Par définition, ils n’ont pas le même âge puisque l’insuline est toujours introduite à un stade plus avancé du diabète, donc à un âge plus élevé dans la vie. Avant de conclure que l’escalade thérapeutique est responsable d’un sur-risque carcinologique il faut se souvenir que l’avancée en âge peut elle-même en être la cause. Il faut savoir garder l’esprit critique et seules les études prospectives et indépendantes pourront peut-être un jour répondre à la question. De même, parmi les facteurs confondants, l’obésité est un facteur majeur ; elle modifie l’équilibre hormonal de l’organisme, entraîne une surexpression d’un certain nombre de récepteurs et est associée à des facteurs inflammatoires, qui inondent l’organisme en continu ; tous ces éléments sont des facteurs procarcinogènes bien connus (seins, utérus pour ce qui est de l’hyperestrogénie engendrée par la surcharge pondérale). À l’inverse, même si le rôle de l’hyperglycémie a été incriminé comme facteur de risque néoplasique, aucune des grandes études interventionnelles réalisées ces dix dernières années n’a pu démontrer une diminution du risque de cancer dans le bras de traitement intensif comparativement au groupe contrôle. Conclusion Les mécanismes présidant à la relation entre diabète et cancer restent encore flous, même si les hypothèses sont nombreuses. En revanche, le sur-risque néoplasique est bien identifié dans les populations diabétiques, particulièrement chez les diabétiques de type 2. Les implications pour le clinicien sont simples : vigilance face à toute hyperglycémie inaugurale, réflexion clinique avant toute escalade thérapeutique ou devant tout déséquilibre brutal et inexpliqué de la situation métabolique chez un patient diabétique jusque-là relativement facile à traiter.   L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

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