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Endocrinologie

Publié le 14 avr 2016Lecture 10 min

Diabète et fer : quelles interactions ?

G. PRÉVOST, Service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, CHU de Rouen

Les interactions entre le métabolisme du fer et l’homéostasie du glucose, initialement décrites dans l’hémochromatose héréditaire, représentent encore aujourd’hui une thématique de recherche extrêmement intéressante, notamment dans le contexte de l’épidémie d’obésité et du syndrome métabolique. De nouvelles données physiopathologiques, en particulier le rôle de la surcharge martiale adipocytaire et son impact sur l’adiponectine, permettent de mieux appréhender les différentes situations cliniques liant surcharge martiale et anomalies de la tolérance au glucose. L’enquête diagnostique chez les patients avec une surcharge martiale s’appuie largement sur les données biologiques, génétiques et l’IRM hépatique. Le bénéfice des saignées, démontré dans l’hémochromatose héréditaire, mérite d’être confirmé par des essais randomisés avec suivi prolongé dans les situations cliniques non hémochromatosiques.

Des avancées dans la compréhension du métabolisme du fer : focus sur l’hepcidine et la ferroportine(1)   Le fer, via sa forme ferrique (Fe3+) et sa forme ferreuse (Fe2+), est impliqué dans de nombreuses fonctions physiologiques de l’organisme, telle la régulation du stress oxydant. Parce que les capacités d’élimination du fer sont finalement très limitées chez l’homme, l’absorption de ce micronutriment est finement régulée pour en maintenir l’homéostasie (figure 1). Les ions ferriques issus de l’alimentation sont exportés de l’entérocyte via un transporteur spécifique dénommé « ferroportine ». Comme la ferroportine est présente sur l’entérocyte mais aussi comme nous le verrons sur l’adipocyte, son implication dans les mécanismes de surcharge martiale intracellulaire devient déterminante. Les ions ferriques sont ensuite captés par la transferrine, elle-même captée par les récepteurs de la transferrine, permettant ainsi l’acheminement du fer dans les cellules. Au niveau hépatique, les ions ferriques couplés à la transferrine se lient au TfR2 (récepteur de la transferrine 2) et à la protéine HFE présents sur la membrane hépatocytaire. Via une voie de signalisation intrahépatocytaire complexe partiellement élucidée qui comporte notamment les protéines HJV (hémojuvéline), BMP6 (bone morphogenic protein 6) et SMAD (human homolog of drosophilia mad), cette liaison conduit à la sécrétion de l’hepcidine, protéine clé de la régulation du fer. En effet, l’hepcidine, protéine de 25 acides aminés, gagne la circulation sanguine et va réguler négativement l’expression de la ferroportine au niveau de l’entérocyte limitant ainsi l’absorption digestive du fer. Toute mutation affectant une des protéines de cette boucle de régulation (HFE, HJV, TfR2) conduit à une situation de surcharge martiale et à un tableau d’hémochromatose familiale chez l’homme. L’excès de fer est stocké sous forme de ferritine et d’hémosidérine. Cependant, l’interprétation de la ferritinémie comme marqueur des réserves martiales est rendue complexe dans les situations cliniques avec inflammation, notamment dans le cadre du diabète de type 2. Figure 1. Rappel sur le métabolisme du fer. FPN : ferroportine, Tf : transferrine, TfR : récepteur de la transferrine. Diabète et fer : quel rationnel épidémiologique   Ferritine et insulinorésistance Les études épidémiologiques rendent compte d’une association entre la surcharge martiale et l’insulinorésistance périphérique. Ainsi, une étude finlandaise portant sur 1 013 sujets non diabétiques objective que les hommes situés dans le quintile le plus élevé de ferritinémie présentent une augmentation de l’insulinémie de 21 % et de la glycémie de 6 % comparativement aux hommes situés dans le quintile le plus bas de ferritinémie. Les études de clamps euglycémiques hyperinsulinémiques confirment la corrélation négative entre ferritinémie et sensibilité à l’insuline et ce, indépendamment de l’IMC.   Ferritine et diabète Plusieurs études ont rapporté des concentrations plasmatiques élevées de ferritine chez les patients diabétiques de type 2 avérés. À noter qu’une étude autopsique n’a cependant pas montré de différence significative en termes de concentration intrahépatique en fer chez des patients diabétiques comparativement à des sujets non diabétiques appariés sur l’âge et le sexe. Une large étude transversale américaine a permis d’objectiver un risque relatif de diabète multiplié par 4,9 chez des hommes avec ferritinémie supérieure à 300 ng/ml versus ferritinémie inférieure à 300 ng/ml et ce, après ajustement sur l’âge, le sexe, l’ethnie, la consommation d’alcool, l’IMC, la CRP et les enzymes hépatiques. Il est important de souligner que cette association forte entre diabète et ferritinémie n’est pertinente que pour les valeurs élevées de ferritine (> 300 ng/ml chez l’homme, > 200 ng/ml chez la femme).   Consommation en fer et diabète Dans l’alimentation, il convient de séparer le fer lié à l’hème (essentiellement présent dans la viande avec une absorption de l’ordre de 15 %) du fer non lié à l’hème (essentiellement présent dans les légumes et les céréales avec une absorption de l’ordre de 4 %). Trois études prospectives ont montré une association entre la consommation quotidienne en fer lié à l’hème et le risque de diabète de type 2 avec une augmentation d’environ 30 % du risque de diabète chez les sujets situés dans les quintiles les plus élevés de consommation de fer héminique comparativement aux quintiles les plus bas. En revanche, dans ces mêmes études, il n’a pas été observé d’association entre la consommation de fer non lié à l’hème et le risque de diabète. Il n’est cependant pas exclu que les résultats obtenus avec la consommation du fer lié à l’hème relèvent de facteurs confondants tels que la consommation de viande rouge, facteur lui-même associé à l’insulinorésistance et au risque de diabète.   Diabète et fer : données physiopathologiques   La preuve d’un lien entre le diabète et le métabolisme du fer a été suggérée par les constatations cliniques chez les patients en surcharge martiale. Ainsi, l’hémochromatose familiale ou la surcharge martiale liée aux transfusions itératives sont associées à un risque accru de diabète. Même si les études chez les patients hémochromatosiques sont finalement peu nombreuses et le plus souvent portent sur un nombre limité de patients, la fréquence du diabète y est estimée entre 13 et 22 %, l’intolérance au glucose entre 18 et 30 %. La physiopathologie du diabète associé à l’hémochromatose reste controversée. En effet, alors que les anomalies de la sécrétion d’insuline sont communément admises en lien avec le stress oxydant au niveau de la cellule ß, l’existence d’une insulinorésistance est débattue. Même si la plupart des patients hémochromatosiques diabétiques avérés expriment plutôt un profil d’insulinorésistance (avec une obésité dans 80 % des cas), l’état prédiabétique chez ces patients est plutôt associé à une augmentation de la sensibilité à l’insuline. Le modèle murin d’hémochromatose renforce d’ailleurs cette hypothèse. En effet, la souris délétée du gène HFE n’est pas diabétique alors même que la sécrétion d’insuline est significativement altérée. Ces anomalies sont en fait compensées par une augmentation signifi cative de l’insulinosensibilité. La deuxième situation clinique témoignant de l’interaction entre diabète et métabolisme du fer correspond à la surcharge martiale post-transfusionnelle. Considérant qu’une transfusion sanguine correspond à 100 fois l’absorption quotidienne de fer, les patients multitransfusés, notamment dans le cadre des hémoglobinopathies, se retrouvent très rapidement dans une situation de surcharge martiale. La prévalence du diabète dans le cadre des thalassémies est estimée entre 6 et 14 %. Le diabète résulte d’une insulinorésistance et d’un déficit de sécrétion d’insuline.   Surcharge en fer : insulinorésistance ou insulinosenbilité ?   Il existe une réelle dichotomie entre le phénotype clinique de l’hémochromatose familiale avec augmentation de la sensibilité à l’insuline et la situation de diabète de type 2 avec syndrome métabolique, hépatosidérose dysmétabolique ou même le cadre des surcharges martiales post-transfusionnelles caractérisées par une insulinorésistance marquée. Les récentes données de la littérature rendent compte de l’implication de l’hepcidine et de l’adipocyte via l’adiponectine dans l’explication de ces deux phénotypes. Gabrielsen et coll. ont ainsi pu démontrer que l’adipocyte pouvait être exposé à une surcharge en fer intracellulaire, elle-même alors responsable d’une diminution de la sécrétion d’adiponectine et d’une insulinorésistance. Les concentrations d’adiponectine sont d’ailleurs inversement corrélées à celles de la ferritinémie(2). Le rôle de l’hepcidine dans cette boucle de régulation permet de différencier les deux cas de figure : - dans l’hémochromatose, l’hepcidine est diminuée, l’expression de la ferroportine est alors augmentée dans les tissus cibles, dont l’adipocyte, permettant un efflux du fer intracellulaire, une absence de surcharge intracellulaire et donc le maintien de la sécrétion d’adiponectine ; - en revanche, dans la surcharge martiale post-transfusionnelle ou liée à un régime riche en fer, l’hepcidine s’élève, régulant négativement l’expression de la ferroportine ce qui favorise alors la surcharge intra-adipocytaire, la diminution de l’adiponectine et l’insulinorésistance (figures 2 et 3). Figure 2. Métabolisme du fer dans le cadre de l’hémochromatose.  Figure 3. Métabolisme du fer en situation de surcharge martiale non hémochromatosique. Association insulinorésistance et surcharge en fer : l’hépatosidérose dysmétabolique   L’hépatosidérose dysmétabolique (HSD) représente une situation clinique de plus en plus fréquente qui illustre également le lien entre le métabolisme du fer et l’insulinorésistance. Elle se définit par l’association d’une surcharge hépatique en fer et d’un syndrome métabolique. Affectant plus fréquemment les hommes de 45 à 55 ans, le syndrome métabolique de l’HSD comporte une élévation des transaminases (entre 1,5 et 2,5 la norme), une ferritine augmentée, un coefficient de saturation de la transferrine normal ou peu augmenté. La concentration hépatique en fer déterminée le plus souvent par IRM se situe entre 50 et 150 mmol/g (N < 36). L’HSD évolue dans un contexte de stéatose voire stéato-hépatite dans 50 % des cas avec 15 % d’évolution vers la fibrose. Réciproquement, 15 à 30 % des patients avec stéato-hépatite présentent également une HSD. L’HSD se différencie, d’une part, pour certains auteurs de l’hyperferritinémie dysmétabolique où la concentration intrahépatique en fer est normale et, d’autre part, de la maladie de la ferroportine caractérisée par une surcharge martiale hépatique plus importante et un phénotype clinique plus sévère.   Hyperferritinémie en clinique : quelle conduite à tenir ?   Devant la constatation d’une hyperferritinémie, l’étape première consiste à évaluer le coefficient de saturation de la transferrine (CTF). Dans l’hypothèse où la ferritine et le CTF sont augmentés, après avoir écarté le diagnostic d’hépatite et les pathologies hématologiques, le diagnostic le plus probable est celui d’une hémochromatose familiale, HFE ou non HFE (hémojuvéline, hepcidine, récepteur de la transferrine de type 2). Dans l’hypothèse où le CTF est normal, en l’absence d’inflammation évaluée par la CRP, de prise d’alcool, de lyse cellulaire, une évaluation de la concentration intrahépatique en fer par IRM permet de s’orienter vers une origine dysmétabolique ou éventuellement de reconsidérer une cause génétique dans le cadre d’une surcharge martiale importante (figure 4). Figure 4. Arbre décisionnel sur la conduite à tenir devant une élévation de la ferritinémie. CST : cœfficient de saturation de la transferrine, FPN : maladie de la ferroportine, HH : hémochromatose héréditaire, HSD : hépatosidérose dysmétabolique, Transa : transaminases. Les saignées : pour quels patients ?   Le bénéfice des saignées sur l’homéostasie du glucose est communément admis chez les patients porteurs d’une mutation HFE. F. Equitani et coll., en explorant des patients normoglycémiques et diabétiques tous porteurs de mutation HFE avant et après un programme de saignées de 2 ans, rapportent une amélioration de l’insulinosécrétion de l’ordre de 20 % chez les sujets normoglycémiques et de 30 % chez les patients diabétiques parallèlement à une augmentation de l’insulinosensibilité > 25 % et > 18 % respectivement(3). Chez les patients avec hépatosidérose dysmétabolique, les résultats disponibles sont limités. Il faut d’abord souligner que la ferritinémie a tendance à surestimer le contenu intrahépatique en fer dans ce cadre pathologique. À concentration de ferritinémie comparable de l’ordre de 500 ng/ml, le contenu intrahépatique est trois fois plus bas dans l’HSD que dans l’hémochromatose. Aussi, l’indication de saignées sur un seul critère de ferritinémie n’est pas recommandée. Il est préconisé en revanche d’évaluer le contenu intrahépatique par biopsie et actuellement le plus souvent par IRM. Certains auteurs recommandent des saignées, notamment lorsque le contenu intrahépatique dépasse 100 mmol/g, sur les arguments suivants. Premièrement, la surcharge hépatique en fer répond mal aux règles hygiéno-diététiques. En outre, elle est associée à un risque augmenté de cancer du foie. Enfin, les saignées améliorent le statut métabolique. Trois essais cliniques (avec un nombre limité de patients) ont montré un effet favorable des saignées sur l’insulinosécrétion et l’insulinosensibilité chez des patients intolérants aux hydrates de carbone ou diabétiques. À noter qu’une prise de poids a été observée chez les patients avec NASH traités par phlébotomie. L’ensemble de ces résultats mérite donc d’être validé précisément à l’aide d’essais cliniques randomisés avec un suivi prolongé.   Points clés   L’hepcidine, protéine d’origine hépatique, joue un rôle majeur dans la régulation du métabolisme du fer. La surcharge en fer impacte à la fois la capacité sécrétoire d’insuline et l’insulinorésistance. La surcharge martiale adipocytaire, via une diminution de l’adiponectine, module l’insulinosensibilité. L’hyperferritinémie couplée à la concentration intrahépatique déterminée par l’IRM hépatique permet d’évoquer le diagnostic d’hépatosidérose dysmétabolique chez un patient porteur d’un syndrome métabolique. Des études complémentaires (dont certaines sont en cours) sont nécessaires pour confirmer le bénéfice des saignées sur l’homéostasie du glucose dans les situations de surcharge martiale non hémochromatosique.  L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

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