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Foie-Appareil digestif

Publié le 10 juil 2016Lecture 12 min

Dysbiose intestinale et maladies métaboliques - Les hypothèses, les faits et les espoirs

J.-L. SCHLIENGER, Professeur honoraire à la Faculté de médecine de Strasbourg

Le microbiote (« petit vivant »), terme qui a supplanté celui de microflore intestinale, un monde en soi (dans tous les sens du terme) peuplé de mille milliards appartenant à plus d’un millier d’espèces, est un écosystème, voire un organe à part entière. Le microbiome qui regroupe l’ensemble des informations génétiques contenues dans les bactéries est équivalent à plus de 150 fois le génome humain. Considéré comme un « autre génome », il participe intimement à la régulation des métabolismes et à la pathogénie de diverses maladies de l’hôte.

Le microbiote intestinal : un écosystème hébergé Les relations symbiotiques entre le microbiote et son hôte sont complexes et sont l’objet de nombreuses spéculations. Dans les premières années de la vie, le microbiote joue un rôle favorable sur le système immunitaire et la prévention des allergies. Par la suite, il contribue à la santé intestinale en produisant des composés bénéfiques ou délétères. Les données récentes suggèrent que les signaux émis par le microbiote sont à même de moduler le fonctionnement neuro-cérébral. Les interactions entre le microbiote et les métabolismes de l’hôte sont indéniables. Par ailleurs, il semble à présent acquis que le génome de l’hôte peut moduler pour une petite part le microbiome.   Une signature du soi Le microbiote intègre des paramètres individuels génétiques et comportementaux, ce qui en fait une véritable carte de visite du soi, une signature de l’individu. Il dépend aussi de facteurs environnementaux comme le régime alimentaire, la présence de xénobiotiques, la prise de médicaments et les infections. À long terme, ce sont les habitudes alimentaires qui sont le déterminant principal de sa composition. Les individus sont caractérisés par les centaines de milliers de gènes bactériens de leur microbiote et peuvent être catégorisés en « entérotypes » définis par des groupements enrichis de séquences bactériennes. On distingue actuellement trois entérotypes : le type 1 caractérisé par un enrichissement en Bacteroides, prévalent chez les consommateurs de graisses saturées, le type 2 enrichi en Prevotella correspondant à une alimentation riche en glucides et le type 3 comportant un enrichissement en Ruminococcus. Le microbiote (et le microbiome) apparaît ainsi comme un organe intégrateur et identitaire, capable d’émettre des signaux spécifiques vers l’hôte.   Dysbiose intestinale   Un microbiote équilibré entre les diverses espèces bactériennes qui le composent serait un gage de bonne santé et de bien-être selon la très ancienne vision du pastorien Elie Mentchnikoff (prix Nobel 1908) alors qu’un déséquilibre ou dysbiose serait impliqué dans la physiopathologie de diverses maladies. La définition de la dysbiose suppose de bien connaître les caractéristiques du microbiote normal. Ce préalable se limite actuellement à l’étude de la diversité des espèces composant le microbiote, ce qui n’éclaire qu’imparfaitement sur la fonction puisque des microbiotes fonctionnellement proches peuvent avoir une composition très différente. Le microbiote est composé pour 80 à 90 % de phylotypes bactériens appartenant soit aux Bacteroidetes (Bacteroides, Prevotella) soit aux Firmicutes (Clostridium, entérocoques, lactobacilles, ruminocoques) mais cette composition peut être sensiblement différente dans certaines pathologies. Ainsi, dans l’obésité commune, il y a davantage de Firmicutes et moins de Bacteroidetes, ce déséquilibre pouvant être corrigé par un régime hypocalorique. La dysbiose peut être la conséquence d’infections bactériennes, virales ou parasitaires, d’une modification brutale de l’alimentation et de l’environnement, d’un déficit immunitaire ou de la prise de médicaments comme les antibiotiques. La dysbiose est associée de façon plus ou moins directe aux diarrhées infectieuses ou post-antibiotiques, au syndrome de l’intestin irritable et aux maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), mais la symbiose « microbiote-hôte » dépasse largement le cadre du tractus gastro-intestinal. En effet, la dysbiose intervient à l’échelle systémique en ayant un impact sur les régulations métaboliques ainsi qu’en attestent de nombreuses expérimentations animales — modèles axéniques, manipulations diététiques, administration de prébiotiques, transplantation fécale — dont les résultats ne peuvent être extrapolés sans nuances à l’homme. À ce jour, il reste hasardeux d’identifier un profil microbiotique fonctionnel sans recourir aux marqueurs biologiques ou immunitaires.   Microbiote et métabolisme Il y a une trentaine d’années, les études menées chez les souris dépourvues de flore intestinale (axéniques) ont mis en évidence le rôle du microbiote dans l’homéostasie énergétique de l’hôte. En effet, les souris axéniques ont un poids et un tissu adipeux moins important que les souris conventionnelles tout en mangeant autant sinon davantage. Les souris axéniques sont également protégées contre les désordres métaboliques induits par un régime riche en graisse et ont une meilleure sensibilité à l’insuline. Depuis, des corrélations ont pu être établies dans des modèles animaux et chez l’homme entre les populations bactériennes du microbiote et l’IMC, la résistance à l’insuline, la glycémie à jeun et les marqueurs de l’inflammation de bas grade, accréditant ainsi l’hypothèse de médiateur ou de régulateur métabolique du microbiote et du microbiome. Les mécanismes par lesquels le microbiote peut influer sur le métabolisme sont nombreux et pour une bonne part encore hypothétiques (figure 1). Figure 1. Répercussions du microbiote sur les métabolismes et l’inflammation. LPS : lipopolysaccharides ; AGCC : acides gras chaîne courte Fermentation colique La flore microbienne a des fonctions métaboliques liées à son équipement enzymatique original qui assure dans le côlon l’hydrolyse des aliments peu digestes comme les oligosaccharides et les disaccharides (regroupés sous l’acronyme FODMAPs), les fibres ou les lipides qui, au terme de nombreuses réactions, sont métabolisés en produits de fermentation utilisables par la flore elle-même, par la muqueuse intestinale et par l’hôte. Parmi ces métabolites, les acides à chaîne courte (propionate, butyrate et acétate) sont à la fois une source notable d’énergie et des signaux capables d’interagir avec le métabolisme de l’hôte tant au niveau local que systémique. D’autres nutriments, comme les protéines, conduisent à la formation de substrats susceptibles d’intervenir sur les voies biologiques de l’hôte.   Interaction hormonale Les acides gras à chaîne courte interagissent avec les cellules intestinales L et K et stimulent la sécrétion des incrétines (glucagon-like peptides, GIP) et du peptide YY. Les acides gras formés dans le côlon agiraient sur les cellules sécrétrices situées dans la partie distale du grêle par l’activation de récepteurs couplés à la protéine G par le biais d’un signal neuro-encéphalique.   Métabolisme hépatique Les bactéries favorisent la production d’acides biliaires secondaires ce qui, entre autres, réduit la lipogenèse hépatique.   Conversion de la T4 L’activation de la conversion de la thyroxine en T3 contribue à augmenter la dépense énergétique.   Endotoxinémie métabolique et hyperperméabilité intestinale L’augmentation de la perméabilité de la barrière intestinale liée à la composition du microbiote favorise le passage dans la circulation de composants bactériens. Les lipopolysaccharides (LPS) des membranes des bactéries à Gram négatif et divers autres métabolites bactériens de très petite taille – quand ce ne sont pas les bactéries elles-mêmes – créent une endotoxinémie qui est corrélée à l’absorption des graisses chez l’homme sain et contribue à l’augmentation sérique des cytokines pro-inflammatoires favorisant un état inflammatoire de bas grade et faisant le lit de l’insulinorésistance. L’augmentation des concentrations sériques de LPS est corrélée au stress inflammatoire décrit dans les maladies métaboliques de surcharge.   Dysbiose et obésité De nombreux arguments expérimentaux plaident en faveur d’un rôle significatif de la composition du microbiote sur le métabolisme énergétique et sur son aptitude à faciliter la survenue d’une obésité. Les expériences fondatrices montrant la capacité d’un transfert de selles à un animal axénique puis d’un animal obèse à un animal sain d’induire une obésité ont convaincu de la possibilité qu’a le microbiote de jouer un rôle causal dans la pathogénie de l’obésité. À titre d’exemple, le transfert de la flore d’une souris obèse ob/ob vers une souris témoin entraîne une prise de poids chez cette dernière ; par ailleurs, l’adiposité réduite des souris axéniques est restaurée lorsqu’elles sont recolonisées par une flore conventionnelle. La transmission du caractère « obésogène » du microbiote est vraisemblablement à mettre au compte du microbiome. Toutefois, l’efficacité de la transmission du phénotype « obèse » dépend des apports alimentaires du receveur et n’est pleinement efficace que si les animaux consomment une alimentation pauvre en graisse et riche en fibres, ce qui donne toute leur importance aux autres facteurs génétiques et environnementaux impliqués dans l’obésité. La balance énergétique positive pourrait être la conséquence d’une augmentation de la capacité d’extraction calorique, phénomène transférable expérimentalement. Elle pourrait également être due à l’action des métabolites de la fermentation microbienne (acétate, propionate) qui agiraient comme des signaux par l’intermédiaire de récepteurs des cellules épithéliales intestinales et en modulant par exemple le comportement alimentaire par un axe entéro-cérébral. La modification de la perméabilité intestinale liée à la dysbiose permettrait le passage de produits bactériens (endotoxines, LPS, etc.) induisant une inflammation chronique de bas grade du même type que celle qui est décrite dans l’obésité viscérale. Chez l’homme où des expériences de transfert ont également été réalisées, une rupture d’équilibre entre la flore des Firmicutes et des Bacteroidetes a été décrite dans l’obésité. Dans une étude danoise s’intéressant à la richesse du génotype du microbiote, il a été montré qu’il existe d’importantes différences phénotypiques selon la diversité des gènes recensés dans le microbiome, indépendamment du nombre d’espèces bactériennes. Un microbiome à faible diversité est associé à un IMC plus élevé, à une prise de poids plus importante, à un profil lipidique à risque et à une élévation de la CRP, alors qu’un microbiome plus diversifié s’avère protecteur d’un point de vue métabolique. Les manipulations diététiques sont à même de modifier le microbiome. Un régime restrictif sévère est suivi d’une augmentation de la richesse bactérienne du microbiote avec une amélioration plus marquée de l’inflammation et du profil lipidique chez les sujets obèses dont le microbiome était le plus « abondant ». Il existe donc un profil métagénomique du microbiote favorisant la prise de poids et l’inflammation et un autre prédictif de l’efficacité d’un régime.   Dysbiose intestinale : un nouveau phénotype d’obésité ? Par ailleurs, la recherche d’une ou plusieurs bactéries contribuant à un écosystème « obésogène » a conduit à isoler quelques bactéries candidates, même si cette démarche paraît un peu naïve compte tenu de la complexité du microbiote. Toujours est-il que l’abondance d’Akkermansia municiphila, bactérie pourtant minoritaire, s’avère inversement corrélée avec le poids corporel et l’insulinorésistance et associée à un meilleur profil métabolique et à des adipocytes moins inflammatoires. L’enrichissement du microbiote en A. municiphila par l’administration d’un prébiotique permet d’améliorer les paramètres métaboliques perturbés par un régime riche en graisse. Toutefois, il est trop tôt pour attribuer des vertus particulières à une bactérie parmi beaucoup d’autres, sachant que c’est la richesse du microbiote dans son ensemble qui a un effet métabolique favorable. L’enrichissement du microbiote intestinal 3 et 6 mois après un bypass gastrique, attribué aux modifications du métabolisme des acides biliaires, semble prédictif de la réponse pondérale et métabolique à la chirurgie.   Ces éléments renforcent l’hypothèse du « microbiote intestinal » en tant que partenaire signifiant dans la pathogénie de l’obésité et conduisent à envisager un nouveau phénotype d’obésité marqué par une dysbiose intestinale et par perte de la diversité du microbiote (figure 2). Figure 2. De la dysbiose aux maladies métaboliques. Dysbiose, syndrome métabolique et stéato-hépatite non alcoolique (NASH) La moindre diversité du microbiote rapportée dans l’obésité a des effets métaboliques pouvant contribuer à l’installation d’un syndrome métabolique et d’une NASH. De nombreux facteurs sont potentiellement en cause : l’extraction énergétique plus importante à partir de la digestion colique des oligosaccharides avec un afflux de substrats de la lipogenèse hépatique ; l’endotoxinémie responsable d’un syndrome inflammatoire de bas grade, mesurable dans les adipocytes et induisant une insulinorésistance ; la dysrégulation du métabolisme de la choline qui est un hépatoprotecteur ; la production endogène d’alcool, etc. D’ores et déjà, la dysbiose apparaît comme un facteur pathogène important de la NASH.   Dysbiose et diabète de type 2 L’hypothèse d’une interaction entre le microbiote et le métabolisme glucosé est née de l’expérimentation chez les souris axéniques dont la tolérance glucosée restait normale en dépit de manipulations diabétogènes. Dans le modèle des souris diabétiques résistantes à la leptine db/db, le microbiote comporte davantage de Firmicutes que chez les témoins. Chez l’homme, les résultats sont moins tranchés et même parfois discordants selon les populations étudiées. Les rapports Bacteroidetes/Firmicutes et Prevatella/Clostridia coccoides rectale sont corrélés positivement avec la glycémie mais les résultats sont loin d’être univoques et ne permettent pas d’identifier une dysbiose diabétique spécifique. Les études métagénomiques effectuées dans des populations très différentes (chinoise et suédoise) ont montré que les diabétiques n’avaient qu’une diminution des bactéries productrices de butyrate, sans modification univoque des rapports précités. Les résultats disponibles, qui sont encore très disparates, sont néanmoins en faveur d’une participation du microbiote à la pathogénie de l’obésité. Ainsi Roseburia et Faecalibacterium prausnitzii sont des espèces bactériennes moins abondantes dans le DT2. Dans une étude de cohorte, les lactobacilles sont corrélés positivement avec la glycémie et l’HbA1c alors que les Clostridia sont corrélés négativement avec l’HbA1c, l’insulinémie, le peptide C et les triglycérides. La méthode des clusters métagénomiques montre des disparités plus importantes entre les sujets DT2 et les sujets indemnes de DT2. Enfin, le taux circulant de 16SrDNA, marqueur bactérien spécifique, apparaît comme un facteur indépendant du risque d’adiposité viscérale et de DT2 dans une population générale. En réalité, il est difficile d’affirmer l’existence d’une dysbiose diabétique en raison de l’intervention possible des régimes alimentaires et des traitements antidiabétiques oraux. Ainsi, chez des animaux soumis à un régime riche en graisse, le traitement par la metformine induit de façon synchrone un enrichissement en A. municiphila et une amélioration de la tolérance au glucose…   La pharmacobiotique, voie d’avenir dans la prévention et le traitement des maladies métaboliques ? Les relations entre le microbiote et les maladies métaboliques de l’hôte sont hautement probables, même si elles sont difficiles à établir formellement dans l’espèce humaine où les études sont transversales et corrélatives. À la première approche de description de la composition du microbiote devrait se substituer la notion de métagénomique pour aboutir au concept plus signifiant de dysbiose « fonctionnelle ». Bien qu’il ne soit pas possible d’extrapoler des relations de causalité de l’animal à l’homme, les résultats disponibles permettent d’ores et déjà d’envisager de nouvelles voies thérapeutiques visant à restaurer la richesse du microbiote et à améliorer sa fonctionnalité. La restriction énergétique dans l’obésité, l’enrichissement en fibres ou le régime de type méditerranéen sont des moyens validés d’amélioration de la dysbiose avec des résultats prometteurs sur les marqueurs de tolérance glucosée et d’inflammation. Le style alimentaire — notamment l’apport en oligosaccharides, en protéines, en acides aminés et en fibres — étant un facteur déterminant du profil microbiotique, l’optimisation du microbiote ne peut faire l’économie d’une intervention à ce niveau, ainsi qu’en attestent les résultats des séquençages génomiques effectués après des manipulations diététiques. La catégorisation d’un individu par son microbiote permet d’envisager dans un avenir proche une prescription ciblée avec l’espoir d’une diminution des métabolites associés à l’insulinorésistance. La pharmacobiotique, prometteuse et en devenir, propose l’administration de prébiotiques non absorbables ou de probiotiques (qui sont des microorganismes vivants) qui pourraient promouvoir de façon sélective la croissance de certaines bactéries ou stimuler l’activité métagénomique ou métabolomique dans le but d’agir sur les molécules effectrices des effets bénéfiques escomptés. Reste la possibilité de la transplantation fécale qui a déjà fait ses preuves dans certaines affections digestives.   Conclusion   En l’état des connaissances, le microbiote d’un individu est un trait phénotypique qui fait sens en tant que facteur prédisposant de l’obésité, du DT2 et du risque cardiovasculaire. Sa manipulation par divers moyens – diététique, agents pharmacobiotiques, transplantation – est porteuse d’espoir. Il reste que la pathogénie des maladies métaboliques ne se résume pas au microbiote qui n’est que l’un des éléments d’un ensemble plus complexe faisant intervenir la génétique et les facteurs environnementaux. Les relations entre microbiote et diabète sont probablement plus qu’une passade et concernent d’ailleurs également, à en croire les derniers frémissements, le diabète de type 1.   L’auteur n’a pas de conflits d’intérêts avec la teneur de ce texte.

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