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Diagnostic

Publié le 20 déc 2018Lecture 7 min

HbA1c ou Time in Range pour évaluer l’équilibre du diabète ?

Michael JOUBERT, Endocrinologie-diabétologie, CHU de Caen

L’HbA1c est actuellement le marqueur biologique universellement reconnu pour le suivi du diabète. En effet, les études DCCT/EDIC et UKPDS ont démontré que l’élévation de l’HbA1c contribue au développement des complications micro- et macrovasculaires, chez les patients atteints de diabète de type 1 (DT1) ou de diabète de type 2 (DT2)(1-3). Ces grandes études ont en outre permis de déterminer des valeurs seuils d’HbA1c qui servent d’objectif à atteindre afin de limiter le risque de survenue des complications dégénératives du diabète. Ainsi, les principales sociétés savantes recommandent l’obtention d’une HbA1c < 7 % (voire 6,5 %) chez les adultes et < 7,5 % chez les enfants atteints de diabète, ces objectifs pouvant être modulés chez les adultes atteints de DT2 selon leur âge, l’existence de comorbidités et de complications, le risque hypoglycémique et l’espérance de vie(4,5).

La technologie CGM (continuous glucose monitoring), utilisée depuis de nombreuses années, principalement dans le cadre de la recherche clinique, permet également d’évaluer l’équilibre glycémique grâce à des indices exploitant rétrospectivement les données de mesure du glucose interstitiel, enregistrées par ces dispositifs. Suite au remboursement par l’assurance maladie de plusieurs capteurs de glucose interstitiel, la technologie CGM, de même que les tracés générés par ces dispositifs, font maintenant partie, en France, du paysage de la diabétologie courante. Les diabétologues doivent désormais s’approprier de nouveaux indices d’évaluation de l’équilibre glycémique qui apportent des informations complémentaires à l’HbA1c. La disponibilité de ces nouveaux indices soulève également des interrogations quant à la pertinence, voire la fiabilité de l’HbA1c. Quels sont les indices générés par les enregistrements CGM ? Il faut tout d’abord rappeler que la technologie CGM est désormais fiable, comme le montrent les études réalisées par les constructeurs, mais également les études indépendantes, qui retrouvent un MARD (mean absolute relative difference) satisfaisant, entre 10 et 17 % pour les différents capteurs. De plus, quel que soit le dispositif considéré, le pourcentage de valeurs dans les zones A et B de la grille de Clarke est toujours au-delà de 95 %, signifiant que plus de 95 % des valeurs CGM sont cliniquement significatives(6,7). Les dispositifs CGM, qu’ils soient utilisés à but thérapeutique ou diagnostique, fournissent a posteriori de grandes quantités d’information via des logiciels spécifiques permettant de décharger leurs données sur un ordinateur. Au-delà des représentations graphiques des profils de glucose interstitiel, ces logiciels fournissent de très nombreux paramètres objectifs : taux moyen de glucose interstitiel (à partir duquel peut être calculée une estimation de l’HbA1c par l’équation de Nathan(8)) ; variabilité glycémique (évaluée par différents indices : déviation standard, coefficient de variabilité, IQR – interquartile range, MAGE – mean amplitude of glucose excursion...) ; pourcentage de temps passé dans la cible (TIR – time in range) ; pourcentage de temps passé en hyper- ou en hypoglycémie, pour différents seuils (TOR – time out of range, comprenant le temps passé en hyperglycémie et le temps passé en hypoglycémie). Actuellement, les différents logiciels proposent tout ou partie des nombreux paramètres cités ci-dessus, avec une grande hétérogénéité entre les systèmes. Cette hétérogénéité de la représentation des résultats CGM n’a pas permis, à ce jour, l’établissement de normes permettant le suivi des patients à partir des critères CGM. En effet, on sait par exemple que, pour la plupart des patients atteints de diabète de type 1, il est recommandé d’obtenir une HbA1c < 7 % ou encore des glycémies capillaires entre 80 et 120 mg/dl avant les repas ; mais si l’on s’intéresse au TIR, quel pourcentage de « temps dans la cible » reflète-t-il un diabète bien équilibré ? Il n’y a pas actuellement de réponse à cette question car une autre question préalable n’avait pas encore été débattue : quelle cible de « normoglycémie » faut-il choisir ? En d’autres termes et d’une façon plus générale, quels sont les paramètres CGM qui doivent apparaître sur les rapports générés par les différents dispositifs ? Cette question majeure vient de faire l’objet d’un consensus international qui ouvre la voie à une standardisation des rapports CGM et ainsi, à l’établissement de normes dans un deuxième temps. En effet, un groupe d’experts internationaux, sous l’égide de l’ATTD (Advanced Technologies & Treatments for Diabetes), a récemment fait un travail de consensus autour des paramètres CGM, afin d’établir un standard international qui servira de référence aux industriels qui élaborent des CGM et/ou des logiciels d’analyse des données CGM. L’idée de ce consensus est de proposer un rapport universel standardisé, à l’instar de ce qui est proposé en cardiologie avec l’ECG. En effet, quel que soit l’enregistreur électrocardiographique, la vitesse de défilement du papier, le quadrillage, l’ordre des dérivations sont toujours identiques, permettant un suivi longitudinal de cet examen chez un patient, même exploré par différents appareils. De plus, ce rapport ECG standard a permis d’établir des normes auxquelles tout le monde se réfère actuellement. Pour le CGM, le groupe d’experts a déterminé les items qui doivent apparaître sur un rapport ainsi que les bornes des intervalles de glycémie normale, d’hypo- et d’hyperglycémie (tableau)(9). Quelles informations complémentaires des données CGM comparativement à l’HbA1c ? L’HbA1c est un mauvais marqueur du risque d’hypoglycémie sévère, qui est pourtant une complication grave du diabète, pouvant aboutir au décès(10). En effet, le risque d’hypoglycémie sévère est mieux corrélé à l’ancienneté du diabète et au statut socio-culturel du patient qu’à l’HbA1c(11). De plus, il a été montré dans de récentes études d’intervention qu’il est possible de diminuer l’HbA1c sans majorer le risque hypoglycémique(12). Ces différents exemples montrent bien que la corrélation entre l’HbA1c et les hypoglycémies (sévères ou non sévères) est mauvaise. Le CGM est en revanche l’outil de choix pour dépister les hypoglycémies, notamment nocturnes, et proposer leur prise en charge adaptée, y compris chez des patients dont l’HbA1c est dans l’objectif (figure). Enfin, les hypoglycémies sont associées à une altération notable de la qualité de vie et à un coût important de santé publique, raisons supplémentaires pour lesquelles il est indispensable de les dépister, quel que soit le résultat de l’HbA1c(13,14). Par ailleurs, l’HbA1c est une moyenne qui ne traduit pas la variabilité ni le temps passé à différents niveaux glycémiques. Il est possible d’illustrer cette affirmation par l’image d’une voiture dont la vitesse moyenne sur les 3 derniers mois, enregistrée dans l’ordinateur de bord, serait de 60 km/h. Derrière cette vitesse moyenne, se cachent peut-être des dépassements au-delà des vitesses autorisées (150 km/h) ou des ralentissements importants lors d’un engorgement du trafic (10 km/h). Seul un enregistrement permanent de la vitesse instantanée de l’automobile permettrait de prendre connaissance de l’historique précis du comportement du conducteur. De même, pour la glycémie, il est possible d’observer, pour une même valeur d’HbA1c, des profils de glucose très différents, avec un temps dans la cible et une variabilité eux-mêmes très différents d’un patient à un autre. Par exemple, les profils CGM présentés sur la figure illustrent bien qu’une valeur d’HbA1c satisfaisante peut être associée à une variabilité extrême. Bien que le lien de causalité entre la variabilité glycémique et le développement de complications dégénératives du diabète ne soit toujours pas clairement établi, il faut rappeler qu’une grande variabilité glycémique a un impact majeur sur la qualité de vie du patient au quotidien et est associée à un risque hypoglycémique majoré(15). Figure. Profils CGM observés chez 9 patients DT1 dont l’HbA1c moyenne était de 6,7 % (d’après Levetan et al. Diabetes Care 2003 ; 26 : 1). HbA1c : quelles limites analytiques ? L’avènement des données CGM conduit enfin à s’interroger sur la fiabilité et la pertinence de l’HbA1c, dont la légitimité très longtemps non discutée (faute de mieux !) commence actuellement à faire débat. En effet, la relation entre le taux de glycation de l’hémoglobine et la glycémie capillaire moyenne est variable d’un sujet à un autre, de telle sorte que, par exemple, une HbA1c à 8 % peut s’observer, à l’extrême, chez un patient dont la glycémie capillaire moyenne est de 147 mg/dl, comme chez un patient dont la moyenne est de 217 mg/dl(8). Cette discordance est en partie expliquée par l’origine ethnique des sujets, l’HbA1c étant en moyenne supérieure de 0,4 % chez les sujets de race noire, comparativement aux sujets caucasien, pour un niveau donné de glycémie moyenne(16). De nombreux facteurs peuvent également représenter des biais analytiques au dosage de l’HbA1c et entraîner de fausses augmentations ou diminutions de ce paramètre : anémies de causes diverses, insuffisance rénale, hyperbilirubinémie, hypertriglycéridémie, intoxication éthylique chronique, intoxication au plomb, prises médicamenteuses (vitamine C, vitamine E, ribavirine, acide salicylique, opioïdes, etc.)(17). Ainsi, même si l’HbA1c garde tout son sens à l’échelle d’une population, afin d’en définir l’équilibre glycémique, son utilisation individuelle semble moins pertinente, un nombre non négligeable de patients présentant des valeurs d’HbA1c discordantes avec les glycémies capillaires ou le glucose CGM. Conclusion Plusieurs questions restent à ce jour sans réponse concernant les paramètres CGM et notamment le temps passé dans la cible ou TIR : le TIR est-il un marqueur utilisable au long cours pour le suivi du diabète ? Le TIR est-il corrélé à la survenue de complications dégénératives à long terme ? Comment utiliser le TIR pour guider l’adaptation thérapeutique alors que les recommandations thérapeutiques concernant le diabète reposent encore actuellement sur l’HbA1c ?. Quoi qu’il en soit, grâce au remboursement du système FreeStyle Libre®, puis des capteurs Medtronic Enlite® et Dexcom G4®, à l’origine d’une large diffusion de la technologie CGM, gageons que le TIR va rapidement devenir une problématique quotidienne dans l’activité des diabétologues. Il est également fort probable que la fréquence de contrôle de l’HbA1c soit revue à la baisse pour les utilisateurs au long cours de la technologie CGM, cet outil apportant une information plus pertinente et plus complète. Enfin, la publication récente du consensus international visant à homogénéiser les critères CGM va probablement faciliter l’émergence d’objectifs de « temps passé dans la cible » et de recommandations thérapeutiques reposant sur les profils de glucose interstitiel.

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