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Peau-Muqueuse-Plaie

Publié le 08 avr 2022Lecture 9 min

Traitements adjuvants et alternatifs des plaies diabétiques

Jean-Louis SCHLIENGER, Faculté de médecine, université de Strasbourg

La prévention et le traitement des plaies du pied dans le diabète sont bien codifiés(1,2). Pourtant, bien que les amputations soient de plus en plus souvent évitées, ces plaies du pied sont une cause importante d’hospitalisations prolongées et de handicap. La décharge bien respectée est le meilleur garant de la cicatrisation d’une plaie non infectée. La situation est beaucoup plus incertaine en cas de plaie infectée.

La détersion de la plaie sans produit agressif et le débridement large du tissu nécrosé et de la kératose attenante et un pansement neutre visant à maîtriser l’exsudat et à maintenir un milieu humide sont des étapes indispensables et validées pouvant néanmoins être prises en défaut. Il n’est pas inutile de rappeler que l’antibiothérapie ou les pansements antimicrobiens sont habituellement mis en échec et n’accélèrent pas la cicatrisation (tableau 1). | Autres traitements En plus des pratiques standards, il existe une large palette de traitements adjuvants ou alternatifs envisageables pour combattre une infection résistante en dépit de résultats incertains et d’une efficience insuffisamment évaluée. Certains sont passés dans la pratique courante comme la thérapie par pression négative (VAK) qui aspire de grandes quantités d’exsudat et réduit la fréquence de changement des pansements, ou l’oxygénothérapie topique ou systémique par caisson hyperbare. Face au défi thérapeutique que représentent les plaies diabétiques infectées, bien d’autres solutions alternatives ou complémentaires ont été proposées, le plus souvent sans véritable évaluation. Notre propos est de citer quelques approches marginales, voire ancestrales, susceptibles d’apporter une solution inespérée à des situations paraissant compromises. Magnétisme, électrothérapie, ultrasons, application d’herbes mentionnées de-ci de-là sont hors champ. En revanche, la larvothérapie ou le traitement par le miel sont dignes d’intérêt et assez bien validés par des études récentes, même si le niveau de preuve n’est pas optimal en raison des biais recensés dans la plupart des essais contrôlés. Larvothérapie L’utilisation des larves de mouche pour accélérer la cicatrisation des plaies sévères est une pratique ancestrale qui pouvait se justifier à une époque où la pharmacothérapie et les techniques de débridement et de détersion étaient balbutiantes. Pourtant, la larvothérapie ou lucilia-thérapie (ce sont les larves de la mouche verte commune Lucilia sericata qui sont utilisées) ou « maggot therapy » des Anglo-Saxons est une alternative qui reste d’actualité pour traiter les plaies profondes, nécrotiques, et suppurées du pied diabétique (figure 1). La larvothérapie ou « asticot-thérapie » n’a été introduite dans la stratégie de soin des plaies qu’au premier quart du XXe siècle par William Baer (1872-1931), orthopédiste de la « John Hopkins University » de Baltimore, qui avait été frappé par la détersion inattendue de plaies infestées par des asticots chez des soldats de la Grande Guerre (comme avant lui Ambroise Paré [1510- 1590] et le baron Dominique-Jean Larrey [1766-1842]). Le protocole thérapeutique qu’il développa pour traiter les ostéomyélites en déposant des larves de mouche dans les plaies fut abandonné au profit des antibiotiques en dépit d’une efficacité reconnue par ses pairs. L’émergence des résistances aux antibiotiques et la mise au point de conditionnements de larves « stériles » ont remis en selle cette option thérapeutique pour le moins originale qui a été approuvée par la « Food and Drug Administration » (FDA) aux États-Unis en 2004. Les larves de la mouche verte commune L. sericata (ou lucilie soyeuse) sont faciles à produire in vitro dans des conditions d’asepsie après la ponte sur un milieu organique. Elles sont conditionnées dans des sachets de gaze stérile – ou « BioBag » – placés sur la plaie. Sous cette forme, elles sont plus facilement acceptées par les patients et les soignants. Les sachets aux mailles larges ne peuvent être franchis par les larves du fait d’une imprégnation par du polyvinyle alcool. À la fin du traitement, les larves sont noyées dans une solution alcoolique et traitées comme des déchets d’activités de soins à risque infectieux (DASRI). • Mécanismes d’action Les larves facilitent la détersion et la désinfection des plaies, stimulent la granulation des tissus et éradiquent le biofilm. La détersion est due à la consommation des débris de tissus nécrosés et de la fibrine qui empêchent la cicatrisation et majorent le risque de surinfection. Elle est la conséquence d’un processus enzymatique. Les larves sécrètent de la trypsine, de la chymotrypsine et diverses enzymes qui dissolvent les tissus nécrotiques et liquéfient la fibrine tout en préservant les tissus sains. L’action anti-infectieuse est liée à la sécrétion de nombreux peptides antibactériens dont certains comme la sératicine possèdent une activité antibactérienne contre les staphylocoques résistants à la méticilline (SARM). L’éradication et l’inhibition du biofilm, couche formée de micro-organismes, véritable milieu nutritif pour les bactéries résistant à la plupart des topiques et antibiotiques, sont favorisées par une chymotrypsine larvaire. Les larves de Lucilia ont de surcroît une activité antifongique et anti-inflammatoire et une fonction immunomodulatrice auxquelles s’ajoute la capacité de stimuler la migration et la prolifération des fibroblastes permettant le remodelage de la matrice collagène extracellulaire. Les recherches menées sur les mécanismes cellulaires en cause et les manipulations par génie génétique dans le but d’obtenir des souches transgéniques exprimant et sécrétant des facteurs de croissance stimulant la prolifération et la survie cellulaires font de cette approche quelque peu anachronique une méthode thérapeutique paradoxalement innovante. • Indications En date du 10 septembre 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) a précisé les indications, les contre-indications, et les modalités de prescription de ce produit disponible sous la forme de « BioBag ». La totalité de la partie nécrosée de la plaie humide doit être recouverte d’un ou de plusieurs sachets, en veillant à ne pas superposer les pansements. Ce traitement réservé à l’usage hospitalier ne doit pas être utilisé dans les cavités corporelles stériles et en cas d’infection aiguë à progression rapide ou mettant en jeu le pronostic vital (tableau 2). Il ne peut être utilisé que dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation nominative (ATU) pour une durée définie de l’ordre de 5 jours renouvelables. Une revue systématique récente de type Cochrane portant sur 580 patients présentant des plaies chroniques a conclu à l’efficacité de la larvothérapie par rapport au traitement conventionnel par hydrogels : débridement plus rapide des tissus nécrotiques, granulation plus efficace et réduction plus importante de la surface des plaies(3). Le rapport coût/efficacité du traitement appliqué à diverses plaies chroniques (ulcères de jambe, escarres et pieds dia- bétiques) serait avantageux en raison du raccourcissement du délai de cicatrisation(4). • Efficacité dans les plaies de pied diabétique Les premières études cliniques contrôlées réalisées à partir des années 1990 sur des plaies de pied chez les sujets diabétiques comparant la larvothérapie au traitement conventionnel par débridement et application de pansements hydrogel ont conclu à une détersion et une granulation plus rapide et plus fréquente. Une métaanalyse de quatre études comparant la larvothérapie à un traitement standard chez 356 participants diabétiques a conclu à une croissance plus rapide du tissu de granulation, à un taux de cicatrisation plus élevé (p = 0,0004) et à une diminution de la durée de l’antibiothérapie (81,9 ± 42,1 jours versus 126,8 ± 30,3 jours, respectivement ; p = 0,001)(5). La douleur fréquente pendant les 24 premières heures du traitement est contrôlée par les analgésiques de classe 1 ou 2. La neuropathie habituellement associée à la lésion atténue son intensité. Les démangeaisons sont à relativiser par l’inquiétude ou l’aversion que peut générer ce type de traitement bien que les larves confinées dans les sachets ne soient ni visibles ni au contact direct de la plaie. Le risque de myiase systémique est écarté puisque les larves ont subi une désinfection chimique et un contrôle de qualité rigoureux. • En pratique Délivré dans le cadre d’une ATU nominative, le BioBag® est placé dans une plaie dont les contours ont été protégés par une pommade au zinc ou par un pansement hydrocolloïde. La croûte et le tissu nécrotique sont ramollis par des pansements humides. Les sachets sont recouverts de compresses légèrement humidifiées et d’une bande à mailles larges non compressive. La taille des sachets (proportionnelle à la quantité de larves) est déterminée selon la surface de la plaie. Les traitements antiseptiques sont interrompus, et la surface de la plaie est débarrassée de tout résidu des traitements antérieurs (figure 2). L’acheminement des sachets et leur mise en place doivent être rapides, car les larves sont rapidement périssables en l’absence de substrat nutritionnel (8 à 10 h après l’éclosion, un peu plus longtemps entre 8 et 10 °C). Le pansement est conservé 3 jours, et éventuellement renouvelé en cas d’exsudat important. La vérification de la plaie est nécessaire chaque jour pour s’assurer de la vitalité du dispositif et de la nécessité d’un débridement chirurgical ou la mise en place d’une pression négative complémentaire. Le 21 avril 2021, la commission de transparence a donné un avis défavorable au remboursement spécialité Sérilia® (sachets de 50, 100, 200, 300 larves médicinales) pour le débridement des plaies chroniques ou cicatrisant mal. Pour la commission les pansements à base d’alginates ou à base d’hydrogels en cas de plaies très exsudatives, complétés par les hydrocolloïdes en phase de cicatrisation, sont adaptés aux besoins. Pour la commission qui se base sur l’étude VénUS II datant de 2009(6), l’intérêt des spécialités des larves médicinales n’est pas suffisamment démontré. | Place des pansements topiques au miel Des propriétés anti-inflammatoires et antimicrobiennes ont été attribuées à l’application topique de produits à base de miel qui sont utilisés depuis de nombreuses années dans le but d’accélérer la guérison des plaies. Le miel naturel est un fluide vis- queux ; sa consistance gélatineuse crée une couche superficielle sur la plaie qui empêche l’infestation bactérienne et protège la plaie de la déshydratation. Sa teneur élevée en sucre crée un gradient osmotique qui attire le liquide à travers le tissu sous-dermique et offre une source de glucose pour les composants cellulaires de la zone lésée. La composition physico-chimique du miel inhibe la croissance bactérienne et provoque un écoulement permettant l’évacuation des tissus nécrotiques et des micro-organismes. Le miel réalise un environnement humide et nutritif. Plusieurs modèles animaux ont montré que le miel peut accélérer la guérison des plaies, mais il existe peu d’essais contrôlés de bonne qualité pour conforter cette pratique. Une revue systématique de type Cochrane des pansements à base de miel a conclu à l’absence de supériorité des topiques au miel par rapport au traitement standard(7). Un peu plus tard, une revue systématique comprenant cinq essais contrôlés et 10 études observationnelles évaluant les effets du miel sur les plaies diabétiques a conclu que les pansements au miel étaient plus efficaces que les pansements conventionnels. Néanmoins du fait de l’hétérogénéité et des biais inhérents à ce type d’études, l’efficacité des topiques au miel ne peut être affirmée avec certitude(8). Bien d’autres produits topiques – phénytoïne, angiotensine insuline topique – ont des effets positifs sur la cicatrisation des plaies par rapport aux témoins. Une étude comparant la phénytoïne au miel et à un pansement standard a conclu à une efficacité identique du miel et de la phénytoïne en termes de réduction de la surface de la plaie et de l’éradication de l’infection. | Autres approches La matrice dermique acellulaire est censée faciliter la réparation tissulaire en favorisant le repeuplement des cellules hôtes et la vascularisation et en imposant une barrière aux bactéries. Selon une revue systématique, les patients traités par une matrice acellulaire avaient des taux de guérison plus élevés par rapport aux soins habituels. À titre d’exemple, un dispositif médical acellulaire composé d’écailles de poisson en phase d’évaluation médico-économique accélère la cicatrisation, réduit l’inflammation et prévient l’infection(9). Les facteurs de croissance : plusieurs facteurs de croissance humains tels que le facteur de croissance des fibroblastes, le facteur de croissance épidermique, le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire, le facteur de stimulation des colonies de granulocytes et les facteurs de croissance dérivés des plaquettes ont été proposés comme adjuvant thérapeutique. L’évaluation de leur efficience par des essais contrôlés n’est guère probante. La libération des facteurs de croissance à partir de plasma autologue enrichi en plaquettes a fait l’objet d’une revue Cochrane aux conclusions mitigées(10). Les traitements énergétiques sont fondés sur la stimulation externe de la cicatrisation des plaies par divers moyens : électrique, ondes de choc, électromagnétisme, laser ou photothérapie. Leur objectif est de favoriser l’angiogenèse et de stimuler la prolifération des fibroblastes. Les résultats des essais thérapeutiques sont variables, mais globalement insuffisamment convaincants pour qu’une telle approche soit recommandée.

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