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Insuline

Publié le 21 déc 2005Lecture 8 min

Les insulines inhalées

J.-L. SELAM, Diabetes Research Center, Tustin, et University of Southern California, Los Angeles, Californie, USA R.-P. Radermecker, Service de Diabétologie, Nutrition et Maladies métaboliques, CHU Sart Tilman, Liège, Belgique
L’insulinothérapie a débuté le 11 janvier 1922 avec la première utilisation clinique de l’insuline par Banting et Best1. Durant les années qui suivirent, les recherches ont abouti à une meilleure compréhension de la structure de l’insuline permettant le développement d’insulines à durée d’action variable (NPH, lente). Ensuite, les patients ont eu accès à des analogues rapides (lispro, aspart) et lents (glargine et bientôt detemir) permettant un schéma d’insulinothérapie mimant mieux l’insulinosécrétion physiologique (basal-bolus ou CSII).
Cependant, malgré d’importantes et longues recherches, les premiers systèmes de délivrance non invasive d’insulines sont à peine en cours de développement. 
Cette approche du traitement du diabète de type 1 est attendue avec impatience par les cliniciens et les malades pour lesquels les schémas à plusieurs injections, inévitables depuis le DCCT, représentent une contrainte quotidienne non négligeable. En ce qui concerne le diabète de type 2, le recours à l’insuline se fait souvent trop tardivement en raison de multiples freins : perception de l’insulinothérapie comme un échec thérapeutique, peur de l’injection, image péjorative de l’injection, peur de la prise de poids… Ces facteurs contribuent à un mauvais équilibre du diabète au long cours avec les complications qui y sont associées. Tout progrès permettant d’améliorer l’acceptation de l’insulinothérapie et donc le contrôle glycémique des patients diabétiques de type 2  tient une place importante dans le domaine de la diabétologie. Ces données ont amené de nombreuses équipes à tenter de mettre au point un système de délivrance non invasif d’insuline.   Différentes techniques et voies d’administration ont été tentées, certaines avec des succès modérés, d’autres sans résultats concluants. Il s’agit de techniques comme les jet injectors, les voies transdermiques par iontophorèse, ultrasons à basse fréquence, ou l’utilisation de vésicules lipidiques appelées transfersomes. Les voies intranasales ont été étudiées de manière plus concrète, mais il reste de nombreuses limites à cette technique. Les voies entériques et orales sont également testées. Ces différents modes d’administration d’insuline ne font pas l’objet de cet article. Nous tentons ici d’aborder brièvement les différentes techniques d’administration d’insuline par voie pulmonaire.   Rappel historique   L’administration d’insuline par voie pulmonaire a été la première alternative aux injections d’insuline rapportée dans la littérature. Trois ans après l’utilisation clinique de l’insuline, il a été rapporté que l’insuline pouvait être administrée comme un aérosol et serait capable de réduire la glycémie2. C’est seulement 46 ans plus tard que les premières preuves ont vu le jour lorsque Wigley et coll. ont montré que l’administration d’insuline porcine via un nébulisateur augmentait l’insuline immunoréactive plasmatique chez 3 sujets sains et 4 sujets diabétiques. Ils ont également rapporté que l’hypoglycémie présente une relation étroite avec l’insuline immunoréactive plasmatique3. Durant les 22 années suivantes, plusieurs études ont confirmé que la voie pulmonaire était possible4,5. Depuis, différents essais sont en cours, notamment en améliorant la technique (composition et taille des particules d’insuline, amélioration des inhalateurs permettant d’obtenir une inhalation synchronisée, etc.).   Considérations anatomiques et physiologiques   Les poumons présentent une surface de 50 à 140 m2 et sont composés de 500 millions d’alvéoles, représentant une vaste surface d’absorption en contact étroit avec la vascularisation. Le tractus respiratoire ne contient pas les peptidases retrouvées dans le système digestif et qui représentent une limitation à l’absorption de l’insuline. De plus, la membrane alvéolo-capillaire est très fine et permet une absorption rapide de peptides dans la circulation avec un début d’action rapide de l’insuline peu de temps après son inhalation.  Le mécanisme d’action de l’absorption par l’épithélium pulmonaire de l’insuline n’est pas encore clairement élucidé mais différentes données suggèrent  des passages trans- et paracellulaires6.  Différents travaux ont confirmé cette rapidité d’absorption de l’insuline en mettant en évidence que le pic plasmatique d’insuline inhalée est atteint 15 à 40 minutes après l’inhalation (figure 1)3,5. Depuis lors, de nombreux essais ont confirmé ces données avec une amélioration technique des inhalateurs et l’on considère aujourd’hui cette technique comme possible dans l’utilisation préprandiale de l’insuline dans le but de couvrir les excursions glycémiques postprandiales.    Figure 1. Pharmacocinétique de l’insuline inhalée.   Cependant, nombreux sont les facteurs influant sur l’absorption pulmonaire de l’insuline : débit respiratoire, taille des particules inhalées, clairance de la drogue, observance thérapeutique, impact des maladies concomitantes, en particulier pulmonaires, etc. Ces limites, encore peu connues, méritent de larges essais contrôlés, tout comme l’innocuité à long terme d’une telle voie d’administration d’insuline. La taille des particules ainsi que leur vélocité sont reconnues comme les deux facteurs physiques les plus importants pouvant influer sur l’absorption 7,8. Pour obtenir un dépôt optimal sur la surface alvéolaire, les particules inhalées doivent avoir, d’une part, une faible vélocité et, d’autre part, un diamètre compris entre 1 et 3 µm. La plupart des systèmes actuels utilisent des insulines sous forme liquide ou en poudre. De plus, l’inhalation doit être réalisée de manière synchronisée avec l’inspiration permettant d’obtenir une quantité d’insuline déposée sur les alvéoles reproductible d’une inhalation à l’autre.   Systèmes actuellement à l’essai   Différents systèmes d’inhalation d’insuline sont en cours d’évaluation clinique. Ils sont souvent le fruit d’une collaboration entre différentes firmes pharmaceutiques. Nous décrivons brièvement les principaux systèmes en cours d’évaluation.   Figure 2. Les différents inhalateurs à l’essai. Exubera® Le système Exubera® est probablement la technique la mieux étudiée jusqu’ici. Elle est le fruit d’une collaboration entre les firmes Nektar Therapeutics (San Carlos, États-Unis), Pfizer (Groton, États-Unis) et Aventis (Francfort, Allemagne). Exubera® délivre une composition insulinique sous forme de fine poudre (insuline humaine rapide), dont les particules ont un diamètre inférieur à 5 µm. Le dispositif, via un mécanisme pneumatique, disperse la poudre dans une chambre d’expansion. L’insuline est conditionnée en dosage de 1 et 3 mg, correspondant respectivement à 3 et 9 unités d’insuline rapide du fait d’une biodisponibilité d’environ 10 %. Le patient doit inhaler lentement l’insuline au début d’une inspiration profonde.  Les études préliminaires ont montré une pharmacocinétique reproductible ainsi qu’un contrôle glycémique postprandial comparables aux injections sous-cutanées d’insuline humaine à action rapide9. Nombreux sont les essais, aussi bien chez les patients diabétiques de type 1 que de type 2, ayant montré des résultats encourageants tant sur le plan de l’équilibre glycémique que sur celui de la satisfaction émise par le patient9-11. Les études de phase 2 et 3 ont maintenant inclus plus de 3 000 patients avec, pour certains, un recul de plus de 4 ans. L’efficacité est identique à celle de l’insuline rapide sous-cutanée. Il n’existe pas de données pour l’instant avec les analogues ultra-rapides comme comparateurs. En fait, il semble même que l’action de l’insuline inhalée soit légèrement plus (trop ?) longue que celle de l’insuline rapide, ce qui expliquerait des glycémies moyennes matinales plus basses, à moins qu’elles ne soient la conséquence de taux élevés d’anticorps  anti-insuline, retrouvés augmentés dans près de 25 % des cas à 6 mois.  Une toux modérée, de type irritation laryngée, est notée dans 25 % des cas, mais n’a jamais représenté un danger ou une raison d’abandon. Enfin, les tests, pulmonaires montrent une tendance, très minime mais formelle, à la réduction de certains paramètres comme le volume d’expiration forcée et la capacité de diffusion du CO, de l’ordre de 1 a 3 % sur la première année, se stabilisant par la suite, réversible à l’arrêt du traitement, et de toute façon très loin du seuil cliniquement significatif. Des études sont en cours (scanner, lavage thoracique) pour clarifier ces données. Une demande d’agrément CE a été déposée il y a quelques mois, mais elle risque fort de prendre quelque retard du fait des incertitudes sur la tolérance pulmonaire à long terme.   AERx iDMS Le système AERx iDMS est le fruit d’un partenariat initié par la société Aradigm, associé, par la suite, avec les laboratoires Novo Nordisk. L’insuline est sous forme liquide et composée de particules entre 1 et 3 µm de diamètre. L’inhalation inclut un microprocesseur permettant d’adapter l’inhalation sur la respiration. Cela autorise donc le patient à inhaler l’insuline seulement lorsque l’appareil le lui signalera, en se basant sur la qualité de son inspiration. Les incréments se font par 1 unité, basée sur une biodisponibilité de 13 %.  Une étude réalisée chez 18 patients diabétiques de type 1 avec l’AERx iDMS a montré que l’insuline inhalée est absorbée et efficace avec un délai réduit par rapport aux injections sous-cutanées12. En ce qui concerne les patients diabétiques de type 2, une étude de 12 semaines portant sur 107 patients a montré que l’administration d’insuline par l’AERx avant les repas donne les mêmes résultats que les injections préprandiales sous-cutanées en termes d’hémoglobine glyquée et d’hypoglycémies13. Les études de phase 3 ont débuté depuis quelques mois, mais sont actuellement retardées par des problèmes de production.   AIR Le système AIR (Alkermes, Eli Lilly) utilise des particules d’insuline poreuses, censées garantir une meilleure absorption, dont le diamètre se situe entre 5 et 30 µm. En réalité, la biodisponibilité est de 8 %. Le développement en est encore à ses débuts, et l’expérience, portant actuellement sur une centaine de patients, montre des résultats identiques à ceux de l’essai Exubera®. Les études de phase 2 viennent de débuter aux États-Unis. Une forme slow-release devrait être étudiée par ce laboratoire. Aucune donnée solide chez l’humain n’est disponible pour l’instant. Seules des données chez le rat montrent que le profil pharmacocinétique est comparable à celui de l’Humuline R en cas de formulation de type fast-release, et comparable à celui de l’Humuline L en cas de slow-release14.    Technosphere L’ancien président de la firme Minimed (Mannkind) Al Mann se lance maintenant dans l’insuline inhalée... Le concept est également basé sur l’inhalation d’insuline recombinante en particules de poudre au moyen de l’inhalateur Medtone. Actuellement, certaines données suggèrent une absorption rapide, un début d’action rapide (20 à 30 minutes), une biodisponibilité très élevée (30 %), une durée d’action très brève (2 à 3 heures) ainsi qu’une faible variabilité intra-sujet17,18.  Conclusions   La délivrance d’insuline par voie pulmonaire est un vieux rêve. Depuis quelques années, différentes techniques sont évaluées. Les obstacles sont nombreux : la mise au point d’un promoteur non toxique au long cours afin d’améliorer la biodisponibilité ; la taille des particules tout comme la nature (liquide, poudre) ; le matériel d’inhalation, de conception délicate et souvent volumineux, sont autant de points expliquant la lenteur des progrès. Un recul suffisant concernant l’innocuité à long terme ainsi que l’utilisation de cette technique dans différentes populations spécifiques (bronchiteux chroniques, asthmatiques, etc.) est nécessaire avant l’utilisation de l’insuline inhalée en routine. De plus, depuis l’avènement des analogues rapides de l’insuline, des évaluations comparatives avec une insulinothérapie moderne (stylo en basal-bolus ou pompe) seront nécessaires.  N’oublions pas que l’insuline inhalée ne dispensera certainement pas les diabétiques de type 1, et probablement pas les vrais insulinorequérants de type 2, d’une injection basale journalière, bien que le passage de 4 à 1 injection quotidienne soit déjà un progrès majeur, notamment pour l’enfant diabétique de type 1, mais aussi le diabétique de type 2 réticent au passage à l’insuline.  Enfin, le coût représenté par le conditionnement de l’insuline (utilisation d’équivalents d’insuline sous-cutanée nettement supérieurs) représentera probablement le plus grand frein à l’utilisation à grande échelle de l’insuline inhalée. Références bibliographiques sur demande auprès de la rédaction.

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