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Biologie-Explorations

Publié le 31 mai 2006Lecture 9 min

De la triade glucose à la trilogie du « sept »

L. MONNIER, C. COLETTE, Hôpital Lapeyronie, Montpellier

Il est communément admis que l’équilibre glycémique des patients diabétiques relève d’une « alchimie » complexe à laquelle participent à la fois les variations de la glycémie à jeun et les fluctuations des glycémies postprandiales. L’HbA1c , qui est considérée comme le « gold standard » en matière de marqueur de l’homéostasie glucidique1, est un intégrateur des variations des deux quantités précitées sur une période de l’ordre de 3 mois. D’un point de vue strictement conceptuel, il est même possible d’écrire que :
[HbA1c ]3 mois  =  0 E 3  moisG à J(t) dt + 0 E 3 mois GPP(t) dt où G à J(t) est la variation en fonction du temps de la glycémie à jeun et GPP(t) est la fonction qui décrit les variations des glycémies postprandiales au cours du temps.

Pour sortir du concept et pour rejoindre la pratique, l’équilibre glycémique d’un patient diabétique peut être schématiquement représenté par une triade, la « triade glucose », dont les trois composantes sont : l’HbA1c , les glycémies à jeun et les glycémies postprandiales. À ce jour, bien qu’il y ait encore débat, il a été démontré que la meilleure évaluation quantitative du contrôle glycémique du diabète sucré passe par la mesure des trois composantes. La plupart des recommandations publiées à travers le monde intègrent en général ces trois composantes, même si les positions divergent entre pays et sociétés savantes2,3. Cette variabilité dans les recommandations n’est pas faite pour faciliter la tâche des médecins praticiens. Le but de cet article est de fournir une synthèse des données actuelles en essayant d’en tirer des conclusions simples exploitables en clinique courante.   La variabilité des recommandations : état des lieux et causes de la variabilité   Les faits Au terme de l’étude AGREE, étude comparative portant sur 13 pays et publiée en 2002, les auteurs de cette analyse arrivèrent à la conclusion que, malgré une variabilité inter-pays, il existe un degré de consensus élevé si on limite les recommandations à l’HbA1c et à la glycémie à jeun. À ce jour, deux valeurs sont traditionnellement retenues pour l’HbA1c : – 7 % pour l’American Diabetes Association (ADA)4, – 6,5 % pour l’American College of Endocrinology (ACE)5, pour l’International Diabetes Federation (IDF)6 et pour les recommandations françaises (ANAES)7. En matière de glycémie à jeun, les recommandations sont différentes mais restent proches : – l’ADA conseille un objectif de 0,90 à 1,30 g/l (5 à 7,2 mmol/l)4, – l’ACE moins de 1,10 g/l (6,1 mmol/l)5, – l’ANAES de 0,70 à 1,20 g/l (3,9 à 6,7 mmol/l)7. Pour les glycémies postprandiales, le moins que l’on puisse dire est que l’unanimité n’est pas au rendez-vous. Sur la figure 1, nous avons résumé les différentes recommandations3. Pour certaines sociétés, les recommandations sont basées sur des seuils en dessous desquels les glycémies postprandiales devraient être ramenées. Pour d’autres, comme la Canadian Diabetes Association (CDA) et la British Diabetes Association (BDA), ce sont des intervalles qui ont été retenus. Pour l’ADA et l’ANAES, le seuil glycémique postprandial a été fixé à 1,80 g/l, cette valeur ayant été alignée sur celle qui avait été définie dans le groupe traitement intensif de l’étude DCCT publiée en 1993. La valeur de 1,40 g/l, retenue par l’ACE, n’est rien d’autre que la limite entre la normalité et l’intolérance au glucose à la 2e heure d’une épreuve d’hyperglycémie provoquée orale (HGPO). Au milieu de ces valeurs, il est difficile de comprendre à quoi correspond le 1,35 g/l de l’IDF et les différents intervalles retenus par les autres sociétés comme la CDA et la BDA. La seule raison de ce choix est certainement fondée sur le fait que les valeurs mentionnées correspondent à des valeurs entières ou semi-entières lorsqu’elles sont converties en mmol/l. À titre d’exemple, le 1,35 g/l de l’IDF correspond à 7,5 mmol/l. Figure 1. Cibles glycémiques postprandiales élaborées par différentes assosiations à travers le monde (d’après3). Les causes de la variabilité des recommandations La variabilité touche surtout les recommandations qui portent sur les glycémies postprandiales. D’emblée, il convient de souligner qu’il n’est jamais fait référence au repas après lequel la mesure doit être effectuée. Il est sous-entendu que les contrôles doivent être faits 2 heures après les repas, mais sans que les choses soient précisées de manière très claire. Cette remarque ne peut être comprise que si l’on admet d’emblée le principe suivant : « Il n’y a pas une glycémie postprandiale, mais il y a des glycémies postprandiales ». En effet, durant les états postprandiaux, la glycémie s’élève de manière plus ou moins importante. Les montées glycémiques suivent l’ordre suivant chez les patients diabétiques de type 2 : excursions glycémiques suite au petit-déjeuner supérieures aux excursions glycémiques après le repas du soir, elles-mêmes supérieures aux excursions glycémiques après le repas de midi8,9. Par ailleurs, l’état postprandial est une période d’instabilité glycémique pendant laquelle la glycémie décroît progressivement après avoir atteint un maximum qui se situe en général chez les patients diabétiques de type 2 à la 60e minute après le début du repas. Enfin, il convient de souligner que la composition des repas peut modifier les excursions glycémiques postprandiales. La quantité et la qualité des glucides contenus dans les repas ont une influence certaine sur l’évolution glycémique en période postprandiale. Pour compliquer les choses, la présence ou l’absence d’activité physique dans la période qui suit un repas peut modifier l’amplitude et la durée des hyperglycémies postprandiales. Compte tenu de tous ces éléments, il est aisé de comprendre qu’il soit difficile de définir des normes précises en termes de glycémies postprandiales. C’est ce qui apparaît clairement à la lecture de la figure 1. La dernière difficulté, mais elle concerne toutes les valeurs biologiques, est de définir des seuils. Cette difficulté, qui touche les trois composantes de la triade glucose (HbA1c , glycémie à jeun et glycémies postprandiales), est liée au fait que ces trois marqueurs biologiques ne sont pas des grandeurs au sens physique du terme. Pour la majorité des paramètres biologiques, il est tout d’abord impossible de définir une valeur 0 de référence et il est en général impossible de dire que les conséquences entraînées par une variation donnée de ce paramètre biologique sont les mêmes quel que soit le niveau auquel se situe le paramètre concerné. Lorsque ni la première ni la deuxième condition ne sont remplies, on dit en physique que la grandeur n’est ni mesurable (1re condition) ni repérable (2e condition).   Prenons l’exemple de l’HbA1c   Bien qu’un taux nul d’HbA1c soit une entité chimique réelle, il constitue, pour des raisons évidentes, une absurdité au sens physiologique du terme. L’HbA1c n’est donc pas une grandeur « mesurable ». Si c’était le cas, un patient ayant une HbA1c à 12 % serait deux fois plus mal équilibré que celui dont l’HbA1c est à 6 %. Une telle formulation apparaît d’emblée contraire à toute réalité et, de ce fait non recevable. L’HbA1c n’est pas pour autant une grandeur repérable. Si c’était le cas, une différence entre deux HbA1c (par exemple de 1 %) devrait avoir la même signification quel que soit le niveau de l’HbA1c . Les études cliniques comme le DCCT10 nous ont appris que cela n’est pas vrai car ramener l’HbA1c d’un patient donné de 7 à 6 % n’a pas les mêmes conséquences en termes de réduction du risque de rétinopathie que de la ramener de 10 à 9 %. Enfin, pour couronner le tout, les seuils biologiques que nous identifions ne sont que des valeurs statistiques définies en général à partir des données fournies par les études épidémiologiques, les suivis de cohorte ou les interventions thérapeutiques. Quand on énonce que l’HbA1c devrait être inférieure à 6,5 % ou à 7 %, on considère que le risque de développer des complications vasculaires devient statistiquement faible en dessous de ces deux valeurs seuils, mais aucun médecin ne pourra jamais affirmer à l’un ou à l’autre de ses patients diabétiques que le fait de maintenir son HbA1c en dessous de 6,5 ou de 7 % lui permettra d’échapper à « coup sûr » à la survenue de complications vasculaires. En revanche, il pourra lui dire que l’eau qu’il a mise dans son verre se transformera en glace s’il laisse le verre dans un réfrigérateur dont la température (grandeur repérable) est inférieure à 0 °C. Figure 2. De la “ triade glucose ” à la trilogie du “ sept ”   Simplifier les recommandations : la trilogie des « sept » Cette variabilité dans les recommandations complique sérieusement la tâche des omnipraticiens. Pour cette raison, il nous semble que les valeurs cibles proposées devraient être les plus simples possibles. À partir de nos propres travaux nous avons démontré qu’une glycémie < 1,26 g/l (7 mmol/l) 2 heures après le repas de midi est fortement prédictive d’un bon équilibre diabétique en prenant comme base une HbA1c < 7 %11. Pour cette raison, nous conseillons d’utiliser la règle simple suivante12 : • HbA1c < 7 % pour définir un bon équilibre diabétique, • glycémie à jeun < 7 mmol/l pour définir le diabète sucré (standards américains et internationaux unanimement reconnus), • et glycémies postprandiales 2 heures après le repas de midi < 7 mmol/l pour définir un bon équilibre diabétique en période postprandiale. Cette règle dite des 3 « sept » permet ainsi d’intégrer la « triade glucose » dans les recommandations en ne retenant qu’une seule valeur cible définie par le chiffre 7 qui sert à la fois pour l’HbA1c , la glycémie à jeun et la glycémie postprandiale (figure 2). En utilisant cette règle simple, la tâche des omnipraticiens, confrontés à des recommandations multiples et variées, pourrait être singulièrement allégée. Le problème qui reste à résoudre est de savoir comment on peut intégrer la « triade glucose » et la « règle des 3 sept » dans le suivi régulier du diabète de type 2. En d’autres termes, l’autosurveillance glycémique dans le diabète de type 2 est-elle ou non utile ? Le débat existe depuis plusieurs années entre ceux qui prétendent que l’autosurveillance  ne sert à rien13 et d’autres qui soutiennent qu’elle est un outil important dans la prise en charge du diabète de type 214. La première position est plutôt  celle des experts de l’ADA et la deuxième a la faveur des experts de l’ACE. À notre avis, ce débat ne peut être tranché ni par oui, ni par non, mais plutôt par une réponse modulée : • si l’autosurveillance glycémique est pratiquée par un patient n’ayant reçu aucune éducation thérapeutique appropriée et si le patient et son médecin ne “ tirent aucune conséquence ” de l’observation de glycémies élevées, il est bien certain que l’autosurveillance glycémique se transforme en pratique parfaitement inutile ; • en revanche, si l’autosurveillance est inscrite dans un programme éducatif personnalisé, si des valeurs glycémiques trop élevées ou trop basses à certains moments de la journée entraînent  une intervention thérapeutique, à ce moment-là on peut considérer que l’autosurveillance glycémique devient utile, voire même  indispensable. Prenons deux exemples simples : Le premier concerne la constatation d’une glycémie trop basse en fin d’après-midi chez un patient traité par insulinosecrétagogue. Cette observation devrait conduire à un réajustement de la posologie de l’insulinosécrétagogue. Ce n’est pas l’HbA1c qui donnera le renseignement nécessaire. Seule une mesure de la glycémie aux moments des nadirs (fin d’après-midi ou milieu de nuit) permettra de répondre à la question. Étant donné que, pour des raisons évidentes, il est préférable de mesurer une glycémie en fin d’après-midi plutôt qu’à 3 h du matin, c’est la détermination de la première que nous conseillons. Le deuxième exemple correspond à la dérive excessive des glycémies postprandiales qui, en général, obéit à l’ordre suivant : glycémie après le petit-déjeuner > glycémie après le dîner > glycémie après le repas de midi. Ces dérives  ne peuvent être objectivées que si les glycémies postprandiales sont mesurées, afin de pouvoir procéder à des corrections thérapeutiques adaptées. Comme nous l’avons dit, plus haut, la glycémie mesurée après le repas de midi (règle des trois « 7 »)12 peut permettre d’accélérer les adaptations thérapeutiques « en shuntant » l’inertie de l’HbA1c . Cela sous-entend que l’autosurveillance glycémique doit être ciblée, que les moments des mesures doivent être judicieusement choisis15. En revanche, il est déconseillé de faire de l’autosurveillance systématique, tous les jours, plusieurs fois par jour, en particulier, quand le patient n’en tire aucune conséquence.   Au total   C’est donc l’autosurveillance glycémique couplée à l’éducation qu’il faudrait préconiser. L’ignorance de ce principe élémentaire conduit parfois à considérer l’autosurveillance glycémique comme trop coûteuse et sans intérêt dans le diabète de type 2 traité par comprimés. À nos yeux, cette attitude constitue une erreur car, par bonheur, de nombreux patients sont capables de réagir devant la constatation de glycémies anormales. Les conséquences peuvent être des changements dans le mode de vie (repas, quantité et qualité des glucides, activité physique) ou dans la  posologie et le moment des prises médicamenteuses. Nous regrettons que certaines recommandations ne laissent qu’une place minime ou négligeable à l’autosurveillance glycémique et qu’elles ne soulignent pas l’intérêt de cet outil surtout lorsqu’il s’intègre dans une démarche de prise en charge globale du diabétique de type 2.

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