publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Biologie-Explorations

Publié le 31 mai 2014Lecture 11 min

La « dysglycémie résiduelle » : que faut-il en penser ?

L. MONNIER*, C. COLETTE*, S. DEJAGER**, *Institut universitaire de recherche clinique, Montpellier **Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris


Le diabète de type 2 (DT2) est une maladie évolutive caractérisée par une succession d’échecs thérapeutiques qui nécessitent à chaque étape des réajustements du traitement antidiabétique(1). L’échec thérapeutique est défini par un contrôle glycémique insuffisant dont l’évaluation est basée sur la détermination de l’HbA1c. Aujourd’hui, la plupart des organisations, qu’elles soient américaines (American Diabetes Association)(2), européennes (European Association for the Study of Diabetes)(1), internationales (International Diabetes Federation)(3) ou nationales (Haute Autorité de santé)(4) considèrent qu’un objectif raisonnable chez la majorité des diabétiques est de ramener le taux de l’HbA1c en dessous de 7 %. Toutefois, ce seuil peut être modulé en fonction de nombreux paramètres. En 2008, l’étude ACCORD(5) a montré qu’un traitement trop intensif dans le DT2 est associé à une augmentation de la fréquence des hypoglycémies et de l’incidence des décès par accidents cardiovasculaires. À ce jour, la relation de cause à effet entre épisodes hypoglycémiques et événements cardiovasculaires n’est pas clairement établie. Le débat est toujours d’actualité. 

Certains pensent que les épisodes hypoglycémiques ne sont qu’un marqueur parmi d’autres de la fragilité de certains patients vis-à-vis du risque d’accidents cardiovasculaires (sujets âgés, patients ayant déjà fait des accidents cardiovasculaires)(6), d’autres qu’ils seraient un facteur causal d’accidents cardiovasculaires. Cette proposition est sûrement vraie pour les hypoglycémies sévères. Si on sépare les hypoglycémies sévères et moins sévères, il semble, à la lumière des résultats de l’étude ADVANCE(6) et d’une analyse post hoc de l’étude ORIGIN, que les hypoglycémies sévères sont un facteur causal de décès par accident cardiovasculaire ou par arythmie aiguë(7). Ainsi, comme Janus, le célèbre dieu romain, les hypoglycémies auraient une double face : marqueurs de risque, quelle que soit leur intensité, chez les sujets déjà prédisposés aux accidents cardiovasculaires, et facteurs de risque chez tous les diabétiques quand elles sont sévères. C’est pourquoi la plupart des recommandations préconisent des seuils d’HbA1c plus élevés que 7 %(1-4) chez tous les sujets à risque cardiovasculaire élevé(3,5,8). En revanche, chez les sujets ayant un diabète récent, exempts de signes d’affection cardiovasculaire, et traités par des médicaments pour lesquels le risque d’hypoglycémie est absent ou mineur, certains considèrent que 6,5 % peut être un seuil approprié(1). Cette recommandation est basée sur les données de l’étude épidémiologique DETECT-2(9) et de l’essai d’intervention ADVANCE(10) qui ont montré que la prévalence de la rétinopathie et de manière plus générale de toutes les complications microangiopathiques reste faible tant que l’HbA1c reste < 6,5 % tandis qu’elles commencent à s’élever progressivement dès que son taux dépasse 6,5 %. Ces mêmes études ont montré que le seuil d’apparition des complications macrovasculaires est à 7 %(9,10), expliquant que cette valeur ait été retenue de manière générale par la plupart des organisations.   La question qui est posée est pourtant la suivante : sachant que le diabète est maintenant défini par un taux d’HbA1c ≥ 6,5 % et que le risque microangiopathique démarre à partir de ce seuil, faut-il considérer que les personnes diabétiques avec un taux d’HbA1c entre 6,5 et 6,9 % (7 %) sont bien équilibrées ? Si on considère que ces sujets ont une « dysglycémie résiduelle », le problème est in fine de savoir : « À quoi cela correspond-il et que faut-il en penser ? ». Place de la dysglycémie résiduelle dans l’échelle de progression naturelle des désordres glycémiques chez le patient DT2 Les désordres glycémiques du patient DT2 peuvent être schématiquement séparés en 4 composantes : l’hyperglycémie basale et l’hyperglycémie postprandiale(11), le phénomène de l’aube(12) et le risque d’hypoglycémies iatrogènes(8). Cette dernière composante est présente chez les patients traités par des antidiabétiques non glucodépendants : sulfonylurées, glinides, insuline. Ces 4 anomalies ne sont pas observées à tous les stades évolutifs du DT2 et leurs contributions respectives aux désordres glycémiques varient à travers le continuum de l’histoire naturelle du DT2 (figure 1). Figure 1. Importance respective des 3 désordres glycémiques fondamentaux, qui contribuent à l’hyperglycémie du diabète de type 2 (phénomène de l’aube, hyperglycémie postprandiale et hyperglycémie basale) en fonction du niveau de l’HbA1c. Le phénomène de l’aube Décrit pour la première fois en 1981 par Maria Schmidt dans le diabète de type 1, il correspond à la remontée spontanée de la glycémie en fin de nuit sous l’influence de la production hépatique du glucose qui suit un rythme circadien avec passage par un minimum en fin d’après-midi, pour remonter progressivement dans la soirée et dans la nuit avant d’atteindre un maximum en fin de nuit avant le petit déjeuner. Chez les sujets non diabétiques, l’augmentation de la production hépatique du glucose dans la deuxième partie de la nuit est freinée par une libération accrue d’insuline. La conséquence est une absence de remontée de la glycémie en fin de nuit. L’état normal est donc caractérisé par une absence de phénomène de l’aube(13). Actuellement, on considère qu’un sujet n’est pas diabétique si l’HbA1c est < 5,7 %. Ainsi, on peut en première approximation affirmer que tout sujet dont l’HbA1c est < 6 % (moyenne glycémique < 126 mg/dl d’après les données de l’étude ADAG (A1c-Derived Average Glucose) ne présente aucun désordre glycémique : - absence de phénomène de l’aube, ce qui signifie glycémie à jeun normale ; - absence d’augmentation de l’exposition au glucose et donc absence d’hyperglycémie basale et d’excursions anormales du glucose dans les périodes qui suivent les repas.   En revanche, les résultats que nous avons récemment publiés(14) chez 50 diabétiques bien équilibrés (HbA1c comprise entre 5,7 et 6,5 %) et traités uniquement par des mesures diététiques (pour 34 d’entre eux) ont montré que le phénomène de l’aube est présent chez ces sujets alors que les moyennes des excursions glycémiques postprandiales (7,3 mmol/l) et des glycémies sur 24 heures (6,4 mmol/l) étaient toutes deux strictement normales (figure 2). Ainsi, le phénomène de l’aube constitue le premier désordre glycémique qui apparaît dans l’histoire naturelle du diabète sucré de type 2 (figure 1). Figure 2. Profils glycémiques moyens sur 24 heures chez des patients diabétiques de type 2 divisés en 2 sous-groupes : groupe 1, HbA1c < 6,5 % (n = 50) ; groupe 2, HbA1c comprise entre 6,5 et 6,9 % (n = 50). D’après la référence 14. L’hyperglycémie postprandiale (HGPP) Depuis notre publication princeps dans Diabetes Care en 2003(11), dans laquelle nous avons montré que l’HGPP contribue à hauteur de 70 % à l’hyperglycémie globale des diabétiques de type 2 relativement bien équilibrés (HbA1c < 7,3 %), nous avons confirmé l’importance de l’HGPP au stade précoce du diabète sucré par 2 études complémentaires. En 2007(15) nous avons établi que les excursions glycémiques postprandiales se détériorent dès que l’HbA1c dépasse 6,5 %. Cette détérioration précède celle de l’hyperglycémie basale. Nous avons récemment confirmé ce résultat(14) (figure 2) en démontrant que chez des diabétiques bien équilibrés (100 sujets ayant une HbA1c < 7 %), la différence entre ceux qui ont une HbA1c < 6,5 % (n = 50) et ceux qui ont une HbA1c comprise entre 6,5 et 6,9 % (n = 50) se situe au niveau des HGPP. Ces dernières sont absentes dans le premier groupe tandis qu’elles sont présentes dans le deuxième. Dans les 2 groupes, le phénomène de l’aube est présent et l’hyperglycémie basale est absente. Ainsi, l’HGPP est la deuxième anomalie qui vient se surajouter au phénomène de l’aube chez les patients DT2 quand leur HbA1c franchit le seuil de 6,5 % sans toutefois atteindre la valeur de 7 % (figure 1). L’hyperglycémie basale Au-delà d’un seuil d’HbA1c situé approximativement entre 7,5 et 8 %, la contribution relative de l’hyperglycémie basale devient d’abord égale à celle de l’HGPP. Au-delà de 8 %, c’est l’hyperglycémie basale qui devient de plus en plus prépondérante dans l’exposition totale à l’hyperglycémie(11). En effet, alors que l’impact absolu de l’HGPP reste relativement constant (1 % de point d’HbA1c) à travers l’ensemble du spectre des HbA1c, celui de l’hyperglycémie basale ne cesse d’augmenter de manière linéaire. Ceci explique que la contribution relative de l’hyperglycémie basale devienne prédominante au-delà de 8 % d’HbA1c(11). Ainsi, l’hyperglycémie basale vient se surajouter aux 2 autres désordres glycémiques quand l’HbA1c dépasse une valeur se situant aux alentours de 7,5-8 % (figure 1). Synthèse sur la chronologie d’apparition des désordres glycémiques dans le diabète de type 2 À partir des données que nous venons de développer, la chronologie des désordres glycémiques dans le DT2 peut être schématisée de la manière suivante en fonction du taux de l’HbA1c (figure 1) : • Présence d’un phénomène de l’aube isolé en dessous de 6,5 %. • Association d’un phénomène de l’aube et d’une HGPP quand l’HbA1c est entre 6,5 et 6,9 %. C’est cet état qui caractérise la « dysglycémie résiduelle ». • Association d’un phénomène de l’aube, d’une HGPP et d’une hyperglycémie basale progressivement croissante quand l’HbA1c devient ≥ 7 %. À tous ces stades, quel que soit le niveau de l’HbA1c, peuvent se greffer les hypoglycémies iatrogènes si le traitement est inadapté et si le sujet est traité avec des doses mal ou insuffisamment titrées d’antidiabétiques oraux (sulfonylurées et glinides) ou injectables (insuline)(8). Dysglycémie résiduelle : traiter ou ne pas traiter ? On peut considérer que la dysglycémie résiduelle, caractérisée par l’association d’un phénomène de l’aube et d’une HGPP, contribue à l’exposition totale au glucose, elle-même facteur de risque de complications micro- et macrovasculaires, comme ceci a été démontré par toutes les études physiopathologiques ou dans les essais de suivis à long terme de cohortes de patients diabétiques de type 1 (DCCT, DCCT/EDIC) ou de type 2 (UKPDS et son suivi post hoc sur une période de 10 ans après la fin de l’étude). Dans une étude récente(12), nous avons démontré que l’impact absolu du phénomène de l’aube évalué par l’incrément de la glycémie entre le nadir nocturne et la glycémie avant le petit déjeuner est de 0,4 % en termes de pourcentage de point d’HbA1c. L’impact absolu des excursions glycémiques postprandiales sur l’HbA1c est de 0,6 % tant que l’HbA1c est < 6,8 % et de l’ordre de 1 % quand l’HbA1c est > 6,8 % (figure 3)(16). Figure 3. Impact absolu de l’hyperglycémie postprandiale (HPP) sur l’HbA1c (en pourcentage de points) chez des diabétiques de type 2 en fonction de leur niveau d’HbA1c. D’après la référence 16. Dans ces conditions, on peut considérer que l’éradication combinée du phénomène de l’aube et de l’HGPP permettrait de gagner 1 % sur l’HbA1c (0,4 % pour le phénomène de l’aube(12) et 0,6 % pour les excursions glycémiques postprandiales(16)). Ainsi, un sujet ayant un taux d’HbA1c à 6,8 % verrait ce paramètre revenir à 5,8 %, c’est-à-dire à la normalité. L’éradication isolée de l’HGPP, sans toucher au phénomène de l’aube, ramènerait l’HbA1c de ce même sujet de 6,8 à 6,2 %. Dans les deux cas de figure, le risque de développement ou de progression des complications micro- ou macroangiopathiques serait au mieux supprimé ou au moins fortement ralenti, comme a pu le montrer l’étude de l’UKPDS ou comme le suggère l’analyse faite par Zoungas(10). Le traitement de la dysglycémie résiduelle exige-t-il de la prudence ? Cette normalisation ou quasinormalisation de l’HbA1c avec réduction à son minimum du risque de complications diabétiques ne doit pas toutefois s’accompagner d’une augmentation de la fréquence des hypoglycémies(8). Étant donné que l’hyperglycémie basale est absente et que les glycémies nocturnes sont normales chez les sujets ayant une « dysglycémie résiduelle » (HbA1c entre 6,5 et 6,9 %), il est préférable chez ce type de patient d’éviter la prescription d’antidiabétiques susceptibles d’entraîner des hypoglycémies, comme les sulfonylurées ou les glinides. Les seuls médicaments utilisables deviennent la vieille « metformine » en première intention si le sujet est « naïf » de toute thérapeutique pharmacologique antidiabétique. Si le sujet est déjà traité par metformine, et si ce traitement n’est pas suffisant pour ramener l’HbA1c en dessous de 6,5 %, on devrait avoir recours en deuxième ligne aux médications basées sur l’effet incrétine : inhibiteurs des DPP-4 ou agonistes des récepteurs du GLP-1. Bien qu’ils soient moins efficaces sur l’HbA1c que les agonistes des récepteurs du GLP-1, les inhibiteurs de la DPP-4 (gliptines) ou incrétinomodulateurs apparaissent comme la classe médicamenteuse de choix dans cette indication, car ils sont globalement plus faciles à manipuler que les incrétinomimétiques (a-GLP-1). Les preuves existent-elles pour justifier ce choix thérapeutique ? Dans une analyse post hoc de l’essai OPTIMA(17), chez des sujets déjà traités par metformine et relativement bien équilibrés à l’état de base (HbA1c = 7,1 %), nous avons pu observer les résultats suivants après 8 semaines de renforcement du traitement par une gliptine (sitagliptine ou vildagliptine) (figure 4) : - une diminution de l’HbA1c de 0,4 % ; - une diminution de l’incrément entre le nadir glycémique nocturne et la glycémie avant le petit déjeuner. Cet incrément, appelé ∂ aube, passe de 19 à 13 mg/dl, la baisse étant à la limite de la signification statistique. Cette absence de significativité est sans doute due au petit nombre de cas introduits dans l’étude (n = 30). Figure 4. Variations des paramètres de l’exposition totale au glucose (HbA1c, AUC total et moyenne glycémique sur 24 heures) et des paramètres explorant la dysglycémie résiduelle (MAGE, AUC pp et ∂ aube, c’est-à-dire l’incrément entre le nadir glycémique nocturne et la glycémie qui précède le petit déjeuner) avant (colonnes oranges) et après (colonnes jaunes) traitement par gliptines (sitagliptine chez 16 sujets et vildagliptine chez 14 sujets). Analyse post hoc de l’étude OPTIMA (référence 17). AUC total : aire totale sous la courbe des profils glycémiques obtenus en enregistrement glycémique continu. AUC pp : aire correspondant aux hyperglycémies postprandiales. MAGE : variabilité glycémique, Mean Amplitude of Glycemic Excursions.    Toutefois, en sélectionnant parmi ces 30 sujets, chez les 14 qui avaient un phénomène de l’aube patent (∂ aube ≥ 20 mg/dl), il apparaît que le traitement par gliptine entraîne une diminution significative de la moyenne de l’incrément glycémique qui chute de 32 à 15 mg/dl. De plus, dans cette population, la fréquence du phénomène de l’aube, présent chez 100 % des sujets à l’état de base, passe à 36 % après 8 semaines de traitement par gliptine. Sur les 30 sujets, deux autres modifications significatives ont pu être observées : une diminution de la variabilité glycémique estimée par le MAGE (Mean Amplitude of Glycemic Excursions) et une diminution de l’exposition totale au glucose (AUC total) (figure 4). Ces 2 modifications apparaissent comme la conséquence de l’amélioration des excursions glycémiques postprandiales, dans la mesure où, chez les sujets DT2 relativement bien équilibrés, la variabilité glycémique est directement dépendante de l’intensité des montées glycémiques postprandiales(18) et l’exposition totale au glucose est majoritairement tirée par l’exposition postprandiale au glucose(11). Ainsi, il apparaît que la dysglycémie résiduelle correspond à 2 désordres glycémiques : la présence d’un phénomène de l’aube et la survenue d’excursions glycémiques postprandiales exagérées. Ces dernières conditionnent la variabilité glycémique, qui est potentiellement un facteur de complications vasculaires chez les diabétiques, même si ce rôle est remis en cause par certains.  Conclusion La contribution du phénomène de l’aube et l’exagération des excursions glycémiques postprandiales, chez les sujets ayant une dysglycémie résiduelle (HbA1c ≥ 6,5 % et < 7 %), correspond globalement à 1 % de point d’HbA1c : 0,4 % pour le phénomène de l’aube et 0,6 % pour les excursions glycémiques postprandiales.  La réduction et l’éradication de ces 2 phénomènes chez ces sujets est possible à condition de prescrire des médications antidiabétiques dépourvues de tout risque d’hypoglycémie : metformine, thérapeutiques basées sur l’effet incrétine avec une préférence pour les inhibiteurs des DPP-4, plus faciles à prescrire mais un peu moins efficaces que les agonistes des récepteurs du GLP-1 chez ce type de patients    L. Monnier et C. Colette ne déclarent aucun conflit d’intérêts en relation avec le contenu de cet article. S. Dejager est employée du laboratoire Novartis.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

Vidéo sur le même thème