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Biologie-Explorations

Publié le 30 sep 2015Lecture 7 min

Autofluorescence cutanée et complications du diabète

V. RIGALLEAU, Service d’endocrinologie et nutrition, USN, hôpital Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux ; ISPED, Inserm U897


Au cours des dernières années, plusieurs équipes de diabétologie, dont la nôtre, ont acquis un appareil pour mesurer l’autofluorescence cutanée.

Qu’est-ce que l’autofluorescence cutanée ? L’autofluorescence cutanée (AF) est une propriété optique que la peau manifeste lorsqu’on l’éclaire avec une lumière de longueur d’onde adaptée : elle réfléchit cette lumière avec une intensité qui varie selon la composition moléculaire de la peau. La plupart des produits de glycation avancée issus du métabolisme du glucose sont fluorescents, et influencent la mesure d’AF. Un appareil d’AF comporte donc une source lumineuse, une fenêtre d’application à la peau et un détecteur de la lumière réfléchie. L’appareil disponible en Europe est l’AGEReader (Diagnoptics, Pays-Bas), montré sur la figure 1. Un appareil assez proche est fabriqué aux États-Unis, le Scout-DS. Le fait que l’AF cutanée soit corrélée avec la concentration locale des AGE mesurée sur biopsie cutanée a été vérifié il y a 10 ans, chez des patients diabétiques et chez des hémodialysés(1). Le lien n’est cependant pas « parfait » (coefficient de corrélation : r = 0,55 avec la concentration cutanée en pentosidine, AGE fluorescent). Tous les AGE ne sont pas fluorescents (r = 0,47 pour la carboxy-méthyl-lysine, non fluorescente). Le niveau d’AF diffère selon le site cutané, plus élevé à l’avant-bras où la mesure est habituellement réalisée, qu’au front, mais les niveaux aux différents sites sont corrélés entre eux(2). La mesure d’AF est simple, peu chronophage (20 secondes), indolore, sans danger. Elle ne coûte rien, sauf qu’il faut acheter l’AGEReader et le faire réparer en cas de panne, assez rare dans notre expérience. Figure 1. L’AGE-Reader. L’AF : un marqueur de mémoire métabolique ? La durée de vie des hématies fait de l’hémoglobine glyquée un bon marqueur du contrôle glycérique des 3 derniers mois. Le renouvellement des protéines cutanées est beaucoup plus lent, évalué à 20 années pour le collagène. L’AF est-elle un reflet de l’hyperglycémie moyenne des 20 dernières années ? Chez nos patients diabétiques de type 1, la corrélation entre AF et HbA1c au moment de la mesure n’est pas significative, alors qu’elle est significative si on analyse la relation avec la moyenne des HbA1c des 2 dernières années, et davantage avec les 5 dernières années (tableau 1). D’autres auteurs ont trouvé cette association avec la moyenne des HbA1c. Cette relation est d’un intérêt particulier chez les sujets diabétiques de type 2 (DT2), dont la date du début du diabète est incertaine, avec souvent une ancienneté de la maladie sous-estimée. L’équipe pionnière de Meerwaldt a montré que, chez les sujets DT2 suivis dans la cohorte ZODIAC, l’évolution à 3 ans de l’AF est associée à la moyenne, au maximum, et à la variance de l’HbA1c pendant le suivi(3). Dans la population âgée de la cohorte 3C, nous venons de montrer que l’AF est corrélée à la glycémie et à l’HbA1c mesurées 10 années auparavant, et non pas aux dosages réalisés concomitamment à la mesure d’AF(4), comme illustré sur le tableau 2. Parmi ces sujets, seul le petit groupe dont le diabète datait de plus de 10 ans avait une AF significativement supérieure à celle des sujets non diabétiques. Un raisonnement analogue suggère que l’AF apporte un renseignement concernant les glycémies antérieures (peut-être celles de la période de la conception ?) chez nos patientes porteuses de diabète gestationnel : plus on dispose d’arguments en faveur d’une hyperglycémie antérieure (dosage de glycémie élevé au 1er trimestre, antécédents de diabète gestationnel ou de macrosomie lors de grossesses précédentes), plus l’AF est élevée et se rapproche des valeurs de femmes présentant un diabète établi préalablement à la grossesse. L’AF est donc bien un marqueur de mémoire métabolique, mais est-ce un bon marqueur ? Il n’est pas évident que ce soit un bon marqueur. Les coefficients de corrélations entre AF et HbA1c au long cours sont faibles. Les mesures effectuées dans la cohorte du DCCT montrent qu’une grande part de la variance de l’AF n’est pas expliquée par l’exposition glycémique chronique(5). Parmi les autres variables explicatives de l’AF, on doit notamment citer : – son élévation avec l’âge, ce qui n’est pas forcément contradictoire avec la valeur sémiologique qu’on veut lui accorder, car l’accumulation des AGE joue probablement un rôle important dans le processus de vieillissement. Mais on ne peut pas interpréter un résultat d’AF sans l’ajuster à l’âge du sujet ; - son élévation en cas d’insuffisance rénale, attendue car les AGE et leurs précurseurs sont éliminés par voie rénale. La relation entre AF et fonction rénale est forte, on ne sait pas bien aujourd’hui si elle pourrait être utilisée pour « dater » l’ancienneté de l’insuffisance rénale, ce qui aurait un réel intérêt sémiologique. Sur la figure 2 est représenté le niveau d’AF en fonction du débit de filtration glomérulaire (formule EPI-CKD), chez nos patients DT2(6) ; - son élévation en cas de tabagisme, attribuée au stress oxydant ; - l’hérédité, comme en atteste la corrélation entre frères et sœurs observée par P. Barat au sein de familles dont un seul enfant était diabétique(7). Le déterminisme génétique du niveau des AGE a de longue date été rapporté dans des études de jumeaux ; récemment une relation très significative entre l’AF et un polymorphisme concernant l’acétylation a été rapportée. Figure 2. Relation entre AF cutanée et débit de filtration glomérulaire (formule EPI-CKD) chez 418 patients porteurs de diabète de type 2. D’autres paramètres influençant l’AF ont été rapportés de façon plus anecdotique : sexe, bilan lipidique, mesure postprandiale vs à jeun, existence d’une cirrhose.   On notera que la plupart des variables explicatives de l’AF sont aussi des marqueurs du risque vasculaire, on peut donc s’attendre à un lien avec les complications du diabète. L’AF est-elle associée aux complications chroniques du diabète ? De multiples publications, que nous ne citerons pas toutes ici, ont rapporté que l’AF est plus élevée chez les patients porteurs de complications vasculaires, micro- et macroangiopathiques. À titre d’exemple, la figure 3 montre les niveaux d’AF chez nos 243 patients porteurs de DT1 : en moyenne 1,9 en l’absence de rétinopathie, 2,1 en présence d’une rétinopathie et 2,3 pour les rétinopathies sévères (préproliférantes et proliférantes) ; ces valeurs sont significativement différentes. D’autres études transversales l’ont montré, dans le cadre du diabète de type 1 et du diabète de type 2. Les études longitudinales, associant le niveau d’AF à la survenue ultérieure de complications sont plus rares, et limitées aux patients porteurs de DT2 de la cohorte ZODIAC : leur AF est associée au risque de neuropathie et de microalbuminurie à 3 ans ; l’association est non significative pour le risque de rétinopathie(8). L’AF apporte aussi une information significative sur le risque d’événement cardiovasculaire, même après prise en compte du score de l’équation de l’UKPDS(9). Figure 3. Niveaux d’AF cutanée chez 285 patients porteurs de diabète de type 1, en fonction de l’existence d’une rétinopathie : 0 = rétinopathie absente, 1 = rétinopathie non proliférante modérée, 2 = rétinopathie proliférante ou préproliférante.    Ces résultats prometteurs restent à consolider, compléter et préciser : • L’AF apporte-t-elle un renseignement supplémentaire à la simple connaissance de l’âge du patient ? Les analyses statistiques n’ont pas toujours été ajustées à ce cofacteur, évidemment déterminant pour les complications vasculaires du diabète. • L’AF apporte-t-elle un renseignement supplémentaire au diagnostic de maladie rénale chronique, dont on sait le rôle crucial comme accélérateur des complications du diabète ? L’analyse de nos résultats est en faveur d’une association indépendante à la macroangiopathie(6). • L’AF apporte-t-elle un renseignement valide concernant le risque de rétinopathie ? Les patients insuffisants rénaux chroniques ont des valeurs d’AF élevées et ne présentent pas de rétinopathie diabétique quand ils ne sont pas diabétiques. • L’AF apporte-t-elle un renseignement utile à la pratique médicale ? Les différences significatives n’empêchent pas que les valeurs se chevauchent largement entre les patients porteurs ou non de complications, comme illustré sur la figure 3. En conclusion, la mesure d’AF cutanée peut-elle être utile pour les diabétologues ? Il est intéressant de disposer d’un marqueur de mémoire métabolique allant au-delà de 3 mois, mais si le marqueur n’est pas très bon, il ne sera pas forcément utile. Le développement de l’AF va donc dépendre de sa valeur pour prédire les complications, ou leur absence : trouveronsnous des valeurs « seuils » en deçà desquelles le risque de complications sera raisonnablement exclu ? Aujourd’hui nous voulons dépister les complications le plus tôt possible, pour intervenir avant les signes cliniques et le handicap. Mais pour la rétinopathie ou la coronaropathie, l’intervention de l’ophtalmologiste et du cardiologue est indispensable dès le dépistage. Qui est vraiment satisfait de ce fonctionnement, avec ces consultations engorgées, ces dépistages en retard ? Il faut chercher si des méthodes comme l’AF, même imparfaites, mais rationnelles, ne peuvent pas nous aider à en libérer un peu nos patients.   L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

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